Bande dessinée
Chroniques - Autobiographie de Jaime Martin
Dupuis - Aire Libre 2020 / 24.95 €- 163.42 ffr. / 152 pages
ISBN : 9782800153469
FORMAT : 24x31 cm
Movida
Qu’est ce que grandir dans une société qui quitte, tranquillement, la dictature ? C’est la question qui pèse sur cet album très réussi, et l’inspire, question obsédante et libératrice pour toute une génération de jeunes Espagnols qui pour certains vivent une vie schizophrénique, entre école religieuse et hard rock. C’est notamment le cas de Jaime, née dans une famille d’opposants au franquisme, mais d’opposants qui ont su se dissimuler et éviter la répression tout en préservant leur identité (par exemple en faisant une collection de vignettes socialistes). Lorsque Franco disparaît enfin, Jaime découvre un monde nouveau, fait de comics américains (que sa grand-mère récupère pour les revendre d’occasion), de musiques hard (AC/DC, Ramones, etc.), de concert, de trafics divers (et notamment de cassettes), de substances prohibées et d’excès insouciants. Inscrit dans l’enseignement religieux, il se distingue par un coup de crayon qui lui vaut la sympathie de ses enseignants… mais Jaime ne compte pas faire dans l’image pieuse. Débarqué au lycée public, c’est aussi au crayon qu’il se taille une bande de copains, aux goûts musicaux similaires. Alors on provoque, on s’affirme, on fait même un peu les cons… et on essaie de grandir et d’échapper au destin, implacable des adultes. Jaime saura t-il suivre sa pente ? L’album (et la trilogie) sont la réponse.
C’est d’abord le graphisme, ligne claire et douce exubérance, rythmé par un beau travail des couleurs et un sens aigu de la mise en scène. Jaime Martin sait raconter une histoire, il l’inscrit dans un décor fouillé, où chaque détail, chaque anecdote s’imbrique et donne à l’ensemble une couleur nouvelle. Mais au-delà du graphisme, c’est ce récit de soi, en sympathie, sans condescendance, qui frappe et séduit. Un ton et un regard, celui de l’adulte sur le jeune homme qu’il fut, celui de l’adolescent sur les promesses de l’avenir. Il y a un va et vient entre passé et présent qui donne tout son sens au récit.
Dessinateur de talent et conteur virtuose, Jaime Martin clôt, avec cet album, sa trilogie la plus personnelle, qui mêle son histoire, celle de ses proches et celle de l’Espagne. La fresque nationale s’imbrique avec poésie dans le récit intime avec, dans ce dernier opus, la découverte d’une culture nouvelle (le rock, les comics, l’underground, etc.) et la naissance d’une vocation de dessinateur. L’entrée dans une « bande » également, une bande d’amis dont les destins, contrastés, sont à l’image des promesses (et des déceptions) de cette Espagne nouvelle, républicaine au passé difficile et à la mémoire trouble, une Espagne divisée où la jeunesse doit aussi prendre position. On est dans le climat de la Movida, cette véritable renaissance culturelle, dont cet album, sans doute plus intime et émouvant que les précédents, est une magnifique illustration, celle d’un dessinateur qui a su allier talent et réflexion sur soi.
Emmanuel Amiard
( Mis en ligne le 13/10/2020 )
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