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J’accuse de Jean Dytar Delcourt 2021 / 29.95 €- 196.17 ffr. / 312 pages ISBN : 9782413015864 FORMAT : 19,4x25,5 cm J’accuse Trop souvent, la bande dessinée documentaire tourne à l’hypocrisie. Comment juguler la part de fiction nécessaire à sa mise en forme ? La plupart se contentent d’habiller un contenu véridique du costume d’une narration vraisemblable. Jean Dytar, sincère et méticuleux, fait mille fois mieux. Pour cette reconstitution de l’Affaire Dreyfus, le dessinateur accomplit cette performance surprenante de ne composer son texte que d’une suite de citations. Le tout sourcé, daté, avec la possibilité de revenir à la publication originale en scannant le livre dans une application. Le plaisir de la donnée brute. Il en résulte 300 pages de bruit médiatique, d’échos, de téléphone arabe. L’opinion publique, dans tout son mouvement, nous saute aux yeux. On se laisse porter par les vagues d’émotion, les coups de théâtre, les indignations et les indignités. La vérité historique intéresse semble-t-il moins Dytar que la façon qu’on a eue de la déformer, de la manipuler, de la trahir. Il prend aussi pour sujet ceux qui s’attachent à conserver leur dignité au milieu de la boue. Car nous sommes bien sûr au côté des dreyfusards : de Mathieu Dreyfus, le frère d’Alfred, du député Scheurer- Kestner, de Zola, de Jaurès. On est surpris de voir à quel point ceux-là avaient raison, tandis que le camp d’en face se couvraient d’opprobre à force de préférer l’honneur à la vérité et la nation à la justice. Il faut rappeler que Dytar a toujours mêlé la grande et la petite histoire dans ses livres, toujours su choisir la forme idéale pour chaque voyage romanesque. Ici, le contenu est bien celui de l’Affaire Dreyfus, mais il est sans cesse condensé dans un discours médiatique qui est en réalité le nôtre : chat, presse en ligne, vidéo Youtube, boîte mail et chaîne d’info en continu… Les mots n’ont pas changé, source historique donnée dans toute sa crudité, mais le discours qui est tenu ne porte jamais tant sur les événements d’il y a un siècle que sur ceux qui nous entourent, hier, aujourd’hui, demain. Dytar ne dessine pas vraiment un documentaire. Il ne dessine pas non plus une fiction. Il s’engage dans un processus descriptif qui correspond autant à notre société qu’à celle des manuels d’Histoire. J’accuse, titre le dessinateur. Qui accuse-t-il ? Est-ce un hasard si Pascal Praud fait de la figuration ? Chaque lecteur tracera les parallèles qui lui viennent à l’esprit, mais ces discours au rouleau compresseur interrogent du moins sur la place que nous laissons à la dignité de chacun, au carrefour des notions de peuple, de pouvoir et de démocratie. On a beau connaître l’Histoire, on est encore surpris par la violence des attaques antisémites. Et on assiste avec fascination à la naissance des intellectuels, de l’Action française et de la Ligue des droits de l’Homme, au refus des gouvernants de rendre compte devant la justice, à l’irruption dans le débat du féminisme et du monde libertaire. À suivre cette opinion publique, abstraite et permanente, le lecteur cherche sa propre boussole ; comme une résistance aux échanges aveugles, une exigence critique, une volonté de se dresser contre les injustices. Clément Lemoine ( Mis en ligne le 27/09/2021 ) |
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