L'actualité du livre
Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

S.
de Gipi
Vertige Graphic Coconino Press - Moby Duck 2006 /  17 €- 111.35  ffr. / 112 pages
ISBN : 2-84999-042-6
FORMAT : 17x24 cm

S.

En quatre albums et moins de deux ans, Gipi est devenu l’une des figures majeures de la bande dessinée actuelle. Son style immédiatement reconnaissable et son écriture à la fois intime et universelle apportent à chacune de ses œuvres une grande profondeur et la beauté crue des travaux qui touchent de près quelques vérités.
Avec S., Gipi raconte, en quelques moments choisis, l’histoire de son père récemment décédé. Utilisant ses propres souvenirs, l’auteur italien revient sur sa relation pleine d’admiration et d’amour mais aussi d’incompréhension et de malentendus, avec ce père aussi impressionnant qu’il reste un homme « comme les autres ». Et pour donner à ce portrait d’autres regards, Gipi relate les histoires de famille qu’il a entendu toute sa jeunesse : la guerre, les bombes qui tombent sur la ferme, et d’autres anecdotes qu’on imagine maintes fois relatées. Le résultat est un album assez étonnant dans sa construction, prenant le risque de dérouler son récit sur un rythme saccadé à la mesure incertaine, mais qui évite le piège de l’autobiographie facile et convenue en mettant en scène sur le même plan petits et grands drames qui font une vie et des souvenirs.
À la manière du récent Fun Home dans lequel Alison Bechdel revenait également sur la relation avec son père, Gipi déconstruit son discours, emmêle les fils chronologique et celui de ses pensées donnant ainsi à voir les extraits d’une histoire forcément plus longue et plus dense, pas forcément les moments les plus forts ni les plus important mais ceux dont, pour quelque raison aussi intime qu’inexplicable, restent en mémoire et dont on préfère parler avant le reste. La narration joue ainsi des décalages et des hésitations, des approximations sur un fait autant que la mise en valeur presque exagérée d’un détail. La voix du narrateur supplante les bulles et l’on suit donc ce parler à la fois très proche mais qui, par ses non-dits, impose une distance. Le résultat est une impression d’une certaine froideur, conséquence de l’effort fourni pour ne pas tomber dans le mélodrame ou l’apitoiement facile.
Posées sur un trait nerveux et filiforme, les subtiles aquarelles adoucissent la ligne autant qu’elles la mettent en valeur. Les images complètent le texte autant qu’elles racontent aussi de leur côté mais elles n’ont cette fois pas le rôle principal et peuvent laisser la place au blanc, au vide, comme dans les dernières pages de l’album. La mémoire n’est pas forcément évidente à dessiner.
S’il n’est pas le chef-d’œuvre annoncé - on lui reprochera cette froideur qui conduit au possible désintérêt – S. est un grand livre qui prend des risques et démontre une fois de plus le grand talent de Gipi lorsqu’il parle des êtres, de leurs émotions, et de leurs faiblesses jamais ignorées.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 02/01/2007 )
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