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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Le Journal d’un remplaçant
de Martin Vidberg
Delcourt - Shampooing 2007 /  11.50 €- 75.33  ffr. / 128 pages
ISBN : 978-2-7560-0641-3
FORMAT : 14,8x21 cm

Le Journal d’un remplaçant

On a tous une image en tête de l’école. L’enseignant que je suis à mes heures gagnées la partage peut-être avec le lecteur de cet article. Mais cette image, nostalgique et floue, n’a rien à voir avec la réalité quotidienne d’une classe de primaire de nos jours. Une bonne raison de redécouvrir le métier de professeur des écoles, ses contraintes et ses difficultés.
La sortie du Journal d’un remplaçant de Martin Vidberg répond joliment à cette demande ; le jeune instituteur témoigne de l’expérience d’une année de cours lorsqu’on est parachuté dans des établissements inconnus. Après quelques pages de remplacements anonymes, qui nous font découvrir le fonctionnement de l’éducation nationale en direct, nous rentrons dans le vif du sujet quand le jeune professeur est nommé à l’Institut des Sapins. On est bien loin ici de l’atmosphère paisible du film Être et avoir : l’Institut est dédié aux élèves ultra-violents et Martin Vidberg se retrouve confronté à des situations particulièrement délicates, qui vont de l’insulte au corps à corps. Tous les jours, Jonas renverse les tables, Kévin menace de se suicider, Fabien tape dans la photocopieuse, Rémi donne des coups de pied… et c’est à l’instituteur de restaurer une ambiance de classe, puisque faire cours est impossible.
Ce journal met donc en scène un engagement quotidien, sans quitter une pudeur de bon aloi et une sincérité jusque dans l’impuissance. Le choix graphique personnel de l’auteur, qui l’a fait connaître sur Internet sous le nom d’Everland, l’amène à représenter tous ses personnages sous forme de patates, plus ou moins grandes mais toutes d’une rondeur enfantine. Ce choix a priori innocent est particulièrement indiqué dans un travail comme celui-ci, puisqu’il lui permet de mettre de la distance dans des scènes qui seraient autrement pénibles ou délicates. Un enfant dont le père s’est suicidé, un autre abandonné par sa mère, deviennent autant d’exemples anonymes d’une enfance paumée. Face à des tragédies individuelles, il n’est pas question ici de s’apitoyer ou de verser dans le pathos ; mais de montrer en anecdotes ce qui tient au rapport de l’enfant au monde des adultes, et les liens qu’on peut se permettre de bâtir.
Le Journal d’un remplaçant alterne l’humour et l’émotion, échappant au risque du « mot d’enfant » pour s’interroger sur l’école, ses pratiques et son utilité. Martin Vidberg ne se fait pas d’illusion sur son importance : il ne sauvera personne à lui tout seul. Il n’hésite d’ailleurs pas à faire part de ses doutes et de ses échecs, jusqu’aux instants d’extrême limite où il a envie de tout plaquer. C’est alors l’instituteur qui rejette l’école et aurait besoin d’être « soigné ». Nous suivons dès lors non seulement le parcours des élèves, mais aussi celui de leur professeur, tout autant désorienté.
L’album se termine sans bouleversement. L’auteur se garde bien de tirer les conclusions de son année de cours : témoin il s’est voulu, témoin il reste. Avec distance et finesse, il témoigne d’une relation au jour le jour, et du chemin imperceptible fait ensemble par le maître et l’élève.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 23/01/2007 )
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