L'actualité du livre
Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Les carnets de Joann Sfar (vol.2) - Missionnaire
de Joann Sfar
Delcourt - Shampooing 2007 /  22.50 €- 147.38  ffr. / 244 pages
ISBN : 978-2756008424
FORMAT : 14,7x21 cm

L’Odyssée du dessinateur

C’est une riche idée qu’ont eue Lewis Trondheim et les éditions Delcourt, de publier sous la forme de carnets massifs le journal de voyage et les notes, croquis, pensées… rédigés par Joann Sfar (Le Chat du Rabbin, Donjon, Le Minuscule Mousquetaire…). En 2004, le dessinateur partait quelque temps au Japon, invité par l’institut culturel français, pour une mission indéterminée (d’où le titre… et l’on évitera ici les jeux de mots douteux sur la posture amoureuse du même nom), à mi-chemin entre le rayonnement de la francophonie dessinée et le mécénat artistique… Bref, il débarquait dans un Japon mystérieux (axiome : l’Orient est toujours mystérieux), armé de son regard, de sa curiosité et d’un carnet à croquis… Petite excursion dans un ailleurs à la fois familier et original, mélange – le poncif recèle une vérité – de tradition et de modernité. Sfar observe, s’inspire, rencontre les gens du coin (de la jeune gothique-néo-nazie à l’esprit du renard…) et s’étonne. Le résultat, c’est ce carnet erratique et très réussi, où se côtoient un peu de sérieux, un peu d’ironie, un peu de folie, un peu de gravité et beaucoup de mondes. Ce sont de belles images (ou alors de simples esquisses), quelques anecdotes en bande dessinée, des idées de passage, un dialogue intime ave un démon intérieur ou une intelligence reptilienne. De tout et de rien brassés avec talent.

Et en 2006, il remettait ça avec une tournée américaine, sillonnant les Etats-Unis d’hôtels en instituts français. Parti avec Alexandre Dumas et le Comte de Monte Cristo, il en profite pour lire, réfléchir, s’introspecter… La position du lecteur est confortable : admis dans l’intimité de l’auteur, il partage avec lui une mémoire juive complexe, ainsi qu’une inspiration (ici : la série Klezmer, et en particulier un volume sur le pogrom de Kishinev). Il partage même avec l’auteur des lectures et des complexes (concernant la création mécanique et le talent). Peu d’Amérique il est vrai (Sfar est moins curieux et donc moins ethnographe) mais des discussion, des inquiétudes récurrentes (les Américains rencontrés sont obsédés par l’idée d’un antisémitisme français virulent, en dépit des dénégations de Sfar) et le portrait d’une certaine Amérique, à la fois chaleureuse et un peu méfiante. Heureusement, il y a des ukulélés, qui allègent tous les soucis de l’auteur.

Le carnet dessiné est un genre particulier, marginal au sein de la bande dessinée : c’est une forme d’autobiographie, un Je sans trop d’inhibitions, qui autorise à peu près tout, une certaine liberté de ton, le droit de divaguer, de proposer des choses et des idées curieuses pour le seul plaisir de faire fonctionner des neurones. C’est une part de soi, une sorte d’auberge espagnole réservée pour le confort d’un seul, lequel y dépose, au gré de ses promenades, dessins et réflexions. Cela peut sembler incohérent et – quelque part – ça l’est… mais c’est justement le charme de cette sorte d’errance qui se révèle captivant. Transfuge de l’Association, qui s’est fait une spécialité du genre ego-graphique (coûteux, hélas) pour une génération que le Moi n’effraie plus, Sfar rejoint Trondheim dans sa collection Shampooing, et confirme, après Greffier, que le genre a de l’avenir, et pas seulement un passé. Dans la grande tradition, un peu oubliée hélas, des écrivains-voyageurs, Joann Sfar dessine en voyageant, ou bien voyage en dessinant. Prochain départ ?

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 28/05/2007 )
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