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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Adorâbles putains
de Perrine Dorin
Diantre ! - Bigre 2008 /  16 €- 104.8  ffr. / 96 pages
ISBN : 978-2-35634-000-9
FORMAT : 17x24 cm

La bande des Quatre

Les jeunes éditions Diantre ! inaugurent leur collection Bigre avec ces Adorâbles Putains, signées de Perrine Dorin, une des trois têtes de la maison.
D’emblée, l’ouvrage témoigne d’une identité graphique aboutie. Si elle fait ses débuts officiels en bande dessinée proprement dite, la dessinatrice a déjà publié plusieurs albums pour la jeunesse. Plus adultes, ces personnages-ci oscillent dans des pages en conflit avec elles-mêmes, dans un panel de formes qui va de la page issue d’un catalogue de vêtements au découpage cinématographique, en passant par le texte quasi-pur et le tableau à la Dali. Cela ressemble parfois à un inventaire formel, un code qui se réfute aussitôt qu’il a été énoncé : comme une mutilation sourde.
Le dessin n’est pas plus évident. Sur le trait léger, des trames et des typographies informatiques déséquilibrées accentuent l’impression mécanique, renforcée ironiquement par une impression un brin pixellisée.
Cet univers n’est pas accueillant : il affiche sa violence et son hétérodoxie. Comme les quatre héroïnes du livre, finalement…

Dalila, Ariane, Mireille et Letta forment « le Quatuor ». Quatre belles jeunes filles cyniques, qui s’essayent à la puissance : dans les boîtes de nuit, elles débauchent des quadragénaires mariés pour leur soutirer de l’argent. Argent grâce auquel elles rentreront dans les magasins de luxe et voleront impunément sous les yeux du vigile.
Sans moralité, c’est un portrait décomposé de personnages en perdition. Qui rejettent le monde, la famille, et tout ce qui n’est extérieur à leur petit cercle. C’est la douleur, bien sûr, et l’absence de raison à la vie. C’est peut-être aussi des histoires difficiles, des secrets de famille trop lourds à porter. Et la mort, au loin. L’album s’ouvre et se ferme sur un enterrement. Parce que cette vie est trop lourde, l’une d’entre elles a fait un choix plus radical.
Mais la violence et la douleur de cette histoire restent toujours sous-entendues. Et il faut lire entre les lignes, relire même à plusieurs reprises, pour voir se dégager le sens premier de la narration. À titre personnel, je serais complètement passé à côté de l’histoire sans les éclaircissements du communiqué de presse…

Perrine Dorin n’est certes pas une auteure facile. Malgré la diversité formelle et les références multiples, et peut-être à cause d’elles, on a du mal à s’accrocher à une narration qui ne fait pas de cadeau. Les gros plans se succèdent, comme des barrières. Et à notre tour, on entre dans Adorâbles putains par le biais, en insistant, en décelant les accents circonflexes au mauvais endroit, en lisant autre chose que ce qui est donné au premier abord.
Les quatre héroïnes, l’une après l’autre, s’expriment. Ces quatre narratrices successives donnent lieu à un phénomène intéressant : c’est une autre voix qui se dégage finalement, qui n’appartient à aucune d’elles, mais qui les contient toutes. Ce rassemblement, qui procède par collages et par juxtapositions, c’est une bonne façon d’utiliser la bande dessinée dans les méthodes qui lui sont propres.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 31/03/2008 )
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