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Bande dessinéeet Policier - Thriller  

L’Alligator - Dis-moi que tu ne veux pas mourir
de Massimo Carlotto et Igort
Casterman - Ecritures 2007 /  12.95 €- 84.82  ffr. / 140 pages
ISBN : 978-2-203-0026-5
FORMAT : 17x24 cm

Polar gris-bleu

Avec les aventures de l’Alligator, sept romans au compteur pour le moment, Massimo Carlotto est devenu une star du polar en Italie. Aujourd’hui, il collabore avec Igort pour concevoir cette bande dessinée, l’occasion de donner un visage à ses personnages. Voici donc par ordre d’apparition Marco Buratti, dit l’Alligator, ancien chanteur de blues et taulard pendant sept ans. Max, solitaire et militant alter-mondialiste, et enfin Beniamino Rossini, truand à l’ancienne, fine moustache et grande classe. Ce trio de tontons flingueurs italiens s’est aujourd’hui reconverti dans des enquêtes policières au service de gangsters qui ne peuvent raisonnablement pas contacter la police. Des détectives très privés donc, aux méthodes efficaces et ne faisant pas dans la dentelle ou la diplomatie longuette.

Dans cette enquête inédite qui n’est pas l’adaptation d’un roman, l’Alligator et ses deux collègues sont commandités par Beppe Sainas, un riche restaurateur franchement louche installé en Sardaigne. Les trois hommes sont chargés de retrouver Joanna, la maîtresse de Sainas, disparue il y a un mois. L’affaire, complexe et dangereuse, se conduira en deux temps, et mènera le trio jusqu’à Paris.

Avec cette première aventure en cases et en bulles de l’Alligator, Igort et Carlotto ont écrit un polar noir en gris et bleu, une petite réussite dans sa catégorie qui doit beaucoup à un scénario finement construit, et à une certaine nostalgie du genre qui fonctionne dès la « dédicace », « À Lino Ventura et Edward G. Robinson ». Le film noir et le polar à la française réunis dans un hommage qui ouvre ainsi le bal, puis mène franchement la danse. C’est l’amour du genre qui motive ici les auteurs et l’on pense à Cain, Clouzot et Melville, à une Série Noire où le bleu remplacerait le jaune, à un film rempli de gueules et de coups de feu dans la nuit. On est ici plongé dans une intrigue pleine de faux-semblants, de revirements, de personnages blessés, d’amitié virile et de mélancolie discrète. L’ensemble n’est pas complètement désespéré pour autant, les auteurs maniant aussi avec habileté l’humour et un détachement certain.

Pour l’occasion, Igort module quelque peu son style. S’il reste fidèle à une bichromie toujours impeccable chez lui (la couleur faisant là les ombres, sculptant ici une silhouette dans la nuit et plus tard, total revirement, imageant l’océan sous le soleil), il dessine cette fois au crayon à papier. Le résultat prodigue quelques belles ambiances, comme un climat un peu éthéré, cauchemar cotonneux dont il est difficile de s’échapper. Un léger gris donc, comme un voile terne parfait pour figurer Paris et ses quartiers délavés, ou la lumière blafarde d’un soleil caché derrière les nuages. Le revers de la médaille c’est une caractérisation un peu molle des personnages, et le fait de plus de jouer parfois la carte d’une certaine naïveté du trait (postures pataudes, anatomies hasardeuses) n’arrange pas les choses. Dommage, car les héros ainsi affaiblis perdent dès lors un peu de caractère et le mystère de leurs âmes ne parvient pas totalement à passer. Un parti pris esthétique discutable donc mais qui ne vient pas non plus entacher notre plaisir de lecteur devant ce récit à la fois sombre et se déroulant avec une tranquille évidence.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 15/05/2007 )
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