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Bande dessinéeet Aventure  

La femme léopard - Le Spirou de… (tome 7)
de Yann et Olivier Schwartz
Dupuis 2014 /  14.50 €- 94.98  ffr. / 64 pages
ISBN : 978-2-8001-5742-9
FORMAT : 31,6x23,4 cm

Spirou au Congo

Suite au succès du Groom Vert-de-Gris, leur première aventure de Spirou, Yann et Schwartz ont gagné le droit de remettre le couvert, pour le premier diptyque de cette collection parallèle.
L’action se situe cette fois en 1946. Bruxelles souffre encore du rationnement et les relations humaines portent le poids de l’occupation. Spirou noie dans l’alcool la disparition d’une amie juive, et les différents services d’espionnage cherchent à reconstruire un nouveau monde diplomatique. C’est ce dernier point qui va permettre aux auteurs de laisser derrière eux le spectre de la guerre et de lancer leur histoire vers un nouveau chantier : celui du Congo belge.
Par rapport au précédent opus, cette sombre histoire de fétiches africains et de femme léopard évoque moins Jijé et les origines de Spirou, et beaucoup plus sa réinvention après-guerre. On se souvient que Franquin avait plusieurs fois emmené le petit Groom en Afrique. Nous n’avions encore jamais eu droit à Spirou au Congo, mais d’autres aventures (L’Héritage, La Corne du Rhinocéros, Le Gorille a bonne mine, pour ne citer que les premiers) avaient bien mis en scène le Sud de la Méditerranée. Franquin n’avait pas toujours su y éviter une forme d’européocentrisme naïf, comme dans Spirou et les Pygmées ou les indigènes les plus noirs sont ceux qui ne se lavent pas. Mais la série s’est enrichie très rapidement d’un humanisme authentique et elle a su remettre en question ces clichés, sous la plume de Franquin lui-même, de Fournier, de Chaland ou de Tome et Janry.

Renvoyer aujourd’hui Spirou devant la question coloniale de 1946, c’est donc pouvoir interroger une bonne partie de sa modernité. Que peut-on garder du frisson de l’exotisme et du pouvoir missionnaire de Spirou, sans le racisme sous-jacent qui l’accompagne ?
Yann et Schwartz intègre aussi dans leur histoire le Saint-Germain-des-Prés des existentialistes, Sartre et Beauvoir en tête. Au Bruxelles ancien du Groom Vert-de-Gris, ils substituent un monde à la recherche de la modernité ; et après les références multiples à Spirou et Tintin, qui risquaient de tourner en rond sur trois albums, ils puisent également dans les romans de Boris Vian (le Plancton) et dans les dessins animés de Betty Boop (Minnie the Moocher). L’héroïne elle-même (la femme léopard, qui n’est pas loin de remiser Spirou au second rôle) a tout d’une Catwoman africaine, chatte de gouttière dans son costume moulant.

Au final, l’album est dense, enthousiasmant à la première lecture et toujours riche à la deuxième. Loin d’un service minimum, Schwartz s’offre dans chaque vignette comme si c’était la dernière, ajoutant à un dessin rond et dynamique des atmosphères inquiétantes. Tillieux, Wazem, Chaland ne sont jamais loin. Les couleurs de Laurence Croix ont leur part dans cette ambiance de polar à la Charleroi.
On rêve d’une série complète qui revisiterait ainsi toute l’époque de Franquin, en racontant épisode historique après épisode historique l’actualité que lui-même ne pouvait pas traiter. La guerre froide, Cuba, le Vietnam ou la décolonisation pourraient sortir de leurs sous-entendus et devenir de véritables thèmes porteurs. Aussi longtemps que Yann et Schwartz poursuivront dans cette voie, leurs albums mériteront le détour.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 05/05/2014 )
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