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Bande dessinéeet Aventure  

Sept missionnaires - 7
de Alain Ayroles et Luigi Critone
Delcourt 2008 /  13.65 €- 89.41  ffr. / 56 pages
ISBN : 978-2-7560-0643-7
FORMAT : 23x32 cm

Les moines barbares

Dans la famille des concepts éditoriaux menant à réunir différents auteurs sur un rythme rapide, « Sept » joue la carte de l’originalité. Le faible argument de départ (sept héros et leur mission) favorise l’indépendance des albums. D’où peut-être la présence dans le lot d’un scénariste rare, qu’on ne connaissait jusque là que pour ses deux séries à succès, De cape et de crocs et Garulfo. Le dessinateur, à côté, fait figure de petit nouveau en terme de notoriété, avec ses deux albums.

La rencontre, au premier abord, semble un peu incertaine. Le scénario d’Alain Ayroles, toujours féru de littérature savante et de psychologie caricaturale, oscille entre drame et grand guignol. Luigi Critone pour sa part a d’emblée fait le choix d’un réalisme lumineux, et ne se laisse aller à un peu de caricature que le temps d’un visage. Mis l’un sur l’autre, les deux styles cohabitent et se font face, avec une sensation irréelle lors des premières scènes, qui plaquent des mouvements de foule burlesques (à la De capes et de crocs) sur des anatomies élégantes.

Mais les deux auteurs sont pourtant faits pour s’entendre. Leur travail est ciselé comme celui des moines copistes et des enlumineurs. Le scénario se développe dans une psychologie plus fine, des gestuelles plus lentes, et éclate en osmose avec le dessin pour un éclat de rire final. La montée de la tension se résout avec une précision admirable et minutée.

Sept missionnaires, donc, représentant chacun d’un péché capital, chargés d’aller évangéliser les féroces vikings qui mettent à sac les terres d’Irlande du IXe siècle. Immédiatement condamnés à mort, ils ne seront sauvés que par leurs défauts, qui s’emboîtent parfaitement pour saper la communauté viking.
Le décor n’est donc pas courant en bande dessinée. Ou plutôt, il est traité loin des classiques de l’heroic-fantasy, avec une ironie certaine à l’égard de l’image du viking surhumain. On croisera donc dans Sept missionnaires un Thorgild Sigurdsson et un Conan plus fort qu’un barbare, deux noms qui évoquent des histoires aux lecteurs de bande dessinée.
Mais les références sont aussi plus larges, comme d’habitude dans l’œuvre d’Alain Ayroles. Un fort vent de religion envahit les pages, grâce au vocabulaire textuel et graphique. Les dialogues restituent une époque ancienne, et les hérésies qu’entraîne l’apostolat. Ce sont ensuite les cases qui prennent la relève, évoquant la Cène ou l’Annonciation. Les lumières divines et infernales éclairent les héros dans leurs actions les plus conséquentes. Jusqu’au hasard final qui prend les apparences d’un message céleste.

Sauf que… sauf que Ayroles et Critone multiplie tout autant les traces d’ironie : la sorcellerie n’est qu’un alambic, et le péché s’apprend au milieu des brebis. Les péchés capitaux que représentent les moines n’introduisent dans la communauté viking que le vin, l’amour et les arts, les ferments de ce que nous appellerions la civilisation. Le christianisme est ramené à un rôle d’instrument de pouvoir, qui ne change rien –au fond – aux pratiques guerrières.
Tout en subtilité, ce récit marque autant la maîtrise du scénariste que celle du dessinateur. Un album convaincant.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 21/04/2008 )
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