Bande dessinée
Les grands classiques de Letzer et Luc Cromheeke
Glénat - 1000 feuilles 2012 / 30 €- 196.5 ffr. / 208 pages
ISBN : 9782723486927
FORMAT : 21,5x29,3 cm
Tom, et j'ai ri
Dans le journal de Spirou des décennies 1980 et 1990, on trouvait entre autres une drôle de veine flamande. Elle était représentée par Gerrit de Jagger, et, les nostalgiques s'en souviennent, Cromheeke et Letzer.
Tom Carbone est resté en mémoire de beaucoup de monde comme une gracieuse pépite de cette période, et on peut espérer que cette réédition permettra de le faire connaître à un nouveau public.
Ce premier volume de l'intégrale présente un ensemble de récits complets bigarrés, et le deuxième devrait majoritairement contenir la période « gags » du personnage. Dans chacun, le collectionneur sera ravi de trouver les inédits en album qu'il attendait depuis longtemps. Pour ce premier tome, il s'agit des Lunatoys et de Tannenbaum, deux histoires marquées par l'arrivée de la science-fiction et de Fritzgerald au scénario.
Les aventures de Tom Carbone, trente ans après leur début, ont gardé un parfum de douce fantaisie. Tom en lui-même n'a rien d'un personnage exceptionnel. Son neveu, son voisin M. Racine, son ami brocanteur Alphonse ont les pieds bien ancrés dans le quotidien. Mais de nombreuses créatures croisent leur chemin, avec des habitudes nettement plus spectaculaires : c'est le lapin de Pâques, inventant tous les jours de nouveaux prétextes pour livrer plus tard ses œufs au pape ; c'est le chevalier Von Blauknecht, qui sort du frigo en frappant à la porte ; c'est encore une fée particulièrement laide ou un loup végétarien...
Cromheeke et Letzer cultivent le bizarre, flirtant avec la poésie en même temps qu'avec l'humour absurde. Les situations partent du banal pour suivre un décalage de plus en plus grand, jusqu'au moment où on réalise que la logique n'est plus vraiment la nôtre. Certaines histoires, comme celle des croquettes Croc croc, sont de petits bijoux. Toutes valent le détour.
Le dessin de Cromheeke est d'une simplicité qui confine à la pureté. Chaque trait est pensé précisément et trouve sa place dans un monde souple et caricatural. Les papiers sur le sol, les nuages de mouvement, les personnages secondaires sont rendus avec un plaisir du détail sans pour autant céder un instant en légèreté. Tannenbaum, le dernier récit, nous offre la surprise d'un crayonné sans encrage, avec quelques valeurs de couleurs posées en aplats ; le résultat est inattendu et réjouissant, d'une originalité qui convient bien à la série. Il permet aussi d'apprécier le travail le plus spontané d'un excellent dessinateur, avec toute la nervosité de son premier jet.
Cromheeke et Letzer s'amusent aussi à faire des clins d’œil au journal, citant l'adresse (boulevard Tirou), les personnages (le marsupilami, Timour), voire le magazine lui-même. Tom Carbone est d'ailleurs un peu un pastiche de l'oncle Paul, à la différence que les histoires dont il fait le récit à son neveu ne sont pas aussi véridiques. On aime bien raconter, chez Tom Carbone, du vrai et du faux, et les auteurs de bande dessinée sont eux-mêmes assez présents.
De façon assez logique, les auteurs imagineront ensuite de donner vie à un objet inventé pour les vitrines du Centre Belge de la Bande Dessinée, Plunk. Une façon de continuer à s'amuser sans se préoccuper des choses sérieuses.
Clément Lemoine
( Mis en ligne le 08/10/2012 )
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