Bande dessinée
Les grands classiques de Carl Barks
Glénat 2013 / 29.50 €- 193.23 ffr. / 384 pages
ISBN : 9782723492980
FORMAT : 17,5x24,8 cm
Les bons contes
En entrant dans les années 1960, Carl Barks continue de faire évoluer l'univers de Donald, de Picsou et de tous leurs canards de parents. S'il ne met plus la même énergie, la même nervosité dans le dessin, il enrichit ses scénarios d'une subtilité nouvelle. Aussi, même si les récits de cette dixième intégrale sont moins célèbres que les précédents, ils restent particulièrement précieux. L'île dans le ciel, une des plus notables incursions des personnages dans la science-fiction, était d'ailleurs l'histoire préférée de Barks.
La structure-type des bandes dessinées évolue. Quelques années plus tôt, notamment dans les formats courts, on trouvait souvent des rythmes ternaires : dans un premier temps tout marchait bien ou tout ratait, puis l'enjeu grandissait, et c'était enfin la catastrophe ou le miracle final. La formule, très maîtrisée, était un peu systématique. Désormais, les rebondissements sont plus nombreux, et les péripéties gagnent en cohérence interne. Dans L'île dans le ciel, Picsou part à la recherche d'un astéroïde où il pourra entreposer son argent. Barks prend le temps de consacrer la moitié de ses dix-huit pages à la route dans l'espace, pour bien poser les motivations de ses personnages. Puis les fait arriver sur un rocher spatial où les enjeux rebondissent : les canards rencontrent des extraterrestres sauvages, dont la survie est mise en péril par une maladresse de Donald. Pour sauver la population affamée, Picsou va devoir renoncer à son objectif premier, mais finira paradoxalement par résoudre son problème. Les motivations s'entrelacent subtilement.
On croirait par moments lire les recommandations aux scénaristes hollywoodiens de John Truby ou de Robert McKee. Picsou prend de plus en plus une force multidimensionnelle. Il perd en caricature, mais gagne en faiblesse morale et émotionnelle. Son rapport à l'argent n'est plus celui d'un vieil harpagon, mais celui d'un homme qui s'est battu, à la loyale, et qui hésite entre son intérêt et le respect de ses valeurs. Ce volume de l'intégrale lui oppose pour la deuxième fois Gripsou, dans Le champion de la fortune, et ses camarades du club des milliardaires, de riches fats. Picsou n'a pas que l'obsession de faire fortune. Il cherche la reconnaissance de ses pairs, demande qu'on l'aime, se soucie de la justice de son image. Ce nouveau combat restera de plus en plus le sien, et les successeurs de Barks, Don Rosa en tête, s'en souviendront.
Don Rosa, justement, est aussi présent dans ce recueil. Car parmi les curiosités qui complète les récits classiques de bande dessinée, ce dixième volume nous permet de retrouver le crayonné par Barks des trois premières pages d'une aventure inachevée de Géo et Picsou, en 1959. Trente ans plus tard, Don Rosa imaginait la fin de cette aventure, dans une mouture reproduite ici. Les curieux pourront encore compléter leur plaisir en achetant le dernier numéro des Trésors de Picsou, qui reproduit l'interprétation du même crayonné par Daan Jippes. On mesure ici à quel point le maître a posé, et pose encore, les bases de notre culture disneyenne.
Clément Lemoine
( Mis en ligne le 18/02/2013 )
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