L'actualité du livre
Bande dessinéeet Les grands classiques  

Jojo (Intégrale tome 3) - 1999-2003
de Geerts
Dupuis 2019 /  35 €- 229.25  ffr. / 296 pages
ISBN : 979-1-0347-3459-7
FORMAT : 21,8x30 cm

Le mojo de Jojo

Voilà le troisième volume, et déjà l’avant-dernier, de cette intégrale Jojo unanimement saluée par la critique. Les albums qui la composent correspondent à une période de reconnaissance pour Geerts, nous apprend Morgan Di Salvia dans une introduction passionnante où le nouveau rédacteur-en-chef de Spirou revient sur son prédécesseur Thierry Tinlot et sur le dessin animé des années 1990 : une précieuse page d’histoire qui éclaire non seulement la biographie du dessinateur, mais une certaine recomposition de la bande dessinée belge. Il s’étend moins sur les albums qui suivent, cohérents par leur couleur informatique, mais finalement échelons comme les autres dans la trajectoire d’une série sincère. Chaque épisode de Jojo s’inscrit dans la lignée des précédents, comme la vie.

Il y a d’abord le retour du père de Jojo, assurément un moment important du personnage, qui trouve à cette occasion une forme de normalité. M.Semaine joue le rôle du visiteur fantaisiste, loin de ses responsabilités paternelles. Geerts s’intéresse ensuite à deux camarades de Jojo, l’un profondément malchanceux et l’autre trop timide pour assumer ses choix. Des sujets qui tournent toujours autour de la destinée, des surprises, de l’existence qui ne se produit jamais comme on le souhaite. Alors que la plupart des narrateurs donnent à leur héros une énergie vitale pour prendre leur avenir en main, les personnages de Geerts n’ont ni quête, ni mission. Ils vivent, simplement, le long de tranches de vie où les destins s’écrivent au jour le jour. Sébastien trouve sa chance, Charlotte apprend à faire ses choix, mais leur histoire ne se résout pas dans un rebondissement brutal qui déboucherait sur un quelconque troisième acte.

C’est le même esprit qui préside aux deux derniers albums, Jojo au pensionnat et Une pagaille de Dieu le père, surprenant florilège où l’auteur s’interroge sur la foi et sur l’esprit de compétition, des thématiques rarissimes dans la bande dessinée jeunesse.
Graphiquement, Geerts s’inscrit dans une veine ancienne de la caricature. Il pratique le gros nez, comme Roba, qu’il reconnaît dans ce volume pour un de ses modèles. Il aime aussi, et peut-être de plus en plus, à déformer la perspective, glissant un effet fish eye dans ses plans d’ensemble pour mieux donner à voir le paysage. Le monde entier semble ainsi avoir le haut plus gros que le bas, les véhicules comme les personnages. Un esprit d’enfance qui rend sympathique les décors les plus sordides, comme la néoténie de Mickey.

Fort de cette technique, il peut incorporer dans Jojo un peu du monde réel sans craindre de perdre au passage son innocence. Incroyable scène dans un album pour enfants, dans Le Retour de Papa, la description d’un bordel qui parvient à éviter le moindre jugement moral. Geerts n’hésite pas non plus à choisir ses gags en-dessous de la ceinture, sans jamais verser dans la vulgarité. Les tabous tombent, sans fracas : Jojo se découvre une famille, et persuade sa grand-mère de changer de costume, comme un héros de bande dessinée qui n’est plus tout à fait un épigone de Tintin.
La longévité commerciale de Jojo, qui finit par trouver son public envers et contre tout, permet de croire à la réussite des œuvres sincères.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 23/09/2019 )
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