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Lettre à Hergé
de Jean-Marie Apostolidès
Les Impressions nouvelles 2013 /  12 €- 78.6  ffr. / 128 pages
ISBN : 978-2-87449-162-7
FORMAT : 14,5x21 cm

Le Petit Vingt-et-Unième

Tintin a le vent en poupe. Son expérience cinématographique en 2011 a fait l’événement en Europe et relancé les ventes. La tintinologie n’en finit pas d’étudier le personnage et son créateur. Pour célébrer le vingtième anniversaire de la mort d’Hergé, Jean-Marie Apostolidès s’interroge sur cette actualité. Et fournit des idées intrigantes.

Lui-même a déjà rendu hommage à Tintin dans trois livres et dans de nombreux articles. Il rassemble ici ses dernières conclusions, dans une lettre-prétexte à Hergé qui s’intéresse plus au petit reporter à la houppe qu’à Georges Rémi.

Mais qui est Tintin ? L’essayiste distingue différentes incarnations du personnage comme autant de réinventions en prises avec leur époque. C’est d’abord le Tintin-Lutin de Benjamin Rabier et Fred Isly, héros farceur d’un album de 1898. Hergé a toujours nié connaître ce titre en dessinant Tintin au pays des Soviets, et ses biographes n’ont pas manqué de le croire. Jean-Marie Apostolidès prend le parti inverse. Il accuse le dessinateur de cacher son influence. L’anecdote est intéressante, dans la mesure où elle permet d’imaginer aux deux hommes (Tintin comme Hergé) une enfance non conformiste et populaire, dont ils auront dû se libérer pour trouver leur destin.

Mais l’hypothèse la plus convaincante du livre tient à la double réception du personnage, dans les années 1930, puis après-guerre. Selon Apostolidès, la première génération de lecteurs trouvait dans Tintin un personnage quasi-réel, inscrit dans l’actualité. Les rendez-vous organisés par le Petit Vingtième avec un comédien, les mises en scènes dans les articles du journal, et plus globalement le traitement de Tintin dans ses aventures en faisaient un reporter dont on retranscrit les dépêches sous forme de bande dessinée. Cet ancrage réaliste est renversé avec les albums couleur qui accompagnent le journal Tintin à partir de 1946. Depuis Le Secret de la Licorne, Tintin a plus que des amis : une famille symbolique, un univers fictif, le monde de Tintin. L’opposition entre les deux périodes se cristallise dans le passage d’une quête du père (Alcazar, Muskar XII..) à la composition d’une fratrie (Haddock, Tournesol). Il faut lire Apostolidès pour comprendre comment cette nouvelle vision du monde peut refléter les valeurs de la génération du baby-boom : innocence et reconstruction du monde par la fraternité.

Séduit, on pourrait attribuer à ce filtre idéologique la pérennité du succès d’Hergé après-guerre. Il est certain que la plupart des tintinologues renommés, et Jean-Marie Apostolidès parmi eux, relèvent des baby-boomers au sens large. Et dans ce cas, la longévité de Tintin est sans doute mise en péril par le renouvellement du lectorat. Le boy-scout serait-il déjà démodé ?

C’est sans doute, en effet, un des enjeux des films de Spielberg, pour peu que ceux-ci continuent à voir le jour. Peut-on adapter Tintin au vingt-et-unième siècle, lui qui collait si bien au précédent ? Apostolidès a encore le mérite de situer le débat au niveau du contenu des aventures, s'éloignant à la fois des fans criant à la trahison devant le grand écran et des technophiles à la recherche du cinéma du futur. Pour cette raison, il aurait bien pu nommer son opus Lettre à Spielberg.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 16/03/2013 )
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