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Tintin, bibliographie d’un mythe
de Dominique Cerbelaud et Olivier Roche
Les Impressions nouvelles - Réflexions faites 2014 /  26 €- 170.3  ffr. / 320 pages
ISBN : 978-2-87449-213-6
FORMAT : 14,5x21 cm

Tintin à la bibliothèque

On pensait que tout était déjà écrit sur Tintin. Mais quand les premières générations d’analystes achèvent leurs grands volumes, il reste toujours la possibilité de faire le compte des feuilles noircies et de s’atteler à la bibliographie.
Fi donc des albums en eux-mêmes, et fi des commentaires de l’œuvre : ce petit volume présente directement un commentaire des commentaires, comme n’aurait pas renié Borges. Il faut dire que le petit reporter à la houppe se prête particulièrement bien à l’exercice : on ne compte plus les biographies, les intégrales, les études plus ou moins sérieuses consacrées au sujet.
Olivier Roche et Dominique Cerbelaud ont même dû restreindre leur corpus aux livres – laissant de côté les films et les journaux, et renvoyant les catalogues de ventes aux enchères à la section spéciale d’un site Internet (encore en construction). Faute de place, les auteurs ont dû aussi faire l’impasse sur les Tintin apocryphes, les fameux pirates qui ont piraté et pastiché Hergé en très grand nombre. Ils s’en expliquent en citant malgré tout quelques un de ces albums, et annoncent la sortie d’ouvrages spécialisés sur le sujet : il faut dire que le genre avoisinerait les 400 titres. En revanche, Bibliographie d’un mythe intègre les réécritures romanesques et les biographies imaginaires. Entretien avec Milou, mémoires de Nestor, carnet de voyage en Syldavie, l’importance de la réappropriation du corpus par les amateurs est une des plus curieuses dimensions de cette bibliographie.

Au sein de cette compilation soignée, Olivier Roche et Dominique Cerbelaud mettent surtout en avant les incontournables, les études marquantes et les tintinologues les plus pointus. Ils en tirent un guide précieux pour le collectionneur, le chercheur et le curieux. Plusieurs centaines de livres sont donc dépouillés, auxquels viennent s’ajouter d’érudites références à des articles ou à des travaux universitaires non publiés. Tout spécialiste sera tôt ou tard amené à y découvrir un volume inconnu diffusé sous le manteau et à peu d’exemplaires. Quant au lecteur lambda, il sera surpris de l’avalanche de titres dans des genres aussi différents que le guide pour collectionneur de broches ou la thèse d’extrême-droite.

Chacun des livre étudié fait l’objet d’une notice reprenant la couverture des différentes éditions et les références bibliographiques précises. Est toujours indiqué le corpus sur lequel s’appuie l’ouvrage (avec ou sans les Soviets et l’Alph’Art) et la teneur des illustrations le cas échéant. Fins connaisseurs du petit milieu tintinophile, les auteurs mentionnent aussi de nombreuses anecdotes liés à l’écriture ou à la réception des différents titres. On notera, au fil des notices, les éléments récurrents, comme l’importance accordée à Tchang et à Tintin au Tibet, la question des sources, les éléments soi-disant cachés de l’œuvre. En comparaison, la question de l’héritage artistique en bande dessinée est rarement soulevée, et les œuvres d’Hergé hors-Tintin (Jo et Zette en particulier) ne sont pour ainsi dire pas évoquées.

Véritable regret, il manque à l’ouvrage un index des titres ou des auteurs, pour retrouver facilement la notice précise d’un livre (entre les études, les présentations de l’œuvre et les catalogues d’exposition, par exemple, il n’est pas toujours évident de savoir où chercher).

Si Hergé est assez naturellement le premier auteur de bande dessinée à donner lieu à ce type de liste, on se souvient du Petit Critique Illustré de Harry Morgan et Manuel Hirtz, dans lequel ils recensaient sans pitié bédéphiles et stripologues. En comparaison, Roche et Cerbelaud n’ont pas la main trop lourde : à quelques procédés commerciaux près, il est plutôt rare qu’ils disent beaucoup de mal d’un ouvrage, et s’attardent plus volontiers sur les qualités des principales pierres de l’édifice tintinologique. On sort de cet inventaire avec l’envie de plonger dans cinq, dix lectures nouvelles. Une exception cependant : les nombreux ouvrages thématiques publiés ou commandés par Moulinsart, ou encore les bibliographies trop inféodées au dit-Château, que nos deux auteurs dénoncent sans la moindre complaisance.
En effet, un des enjeux du livre est aussi de ne pas laisser la Fondation Hergé s’accaparer le discours critique sur Tintin, et de rappeler la richesse et la pluralité des points de vue dans la tintinologie. C’est à cette condition que le discours critique peut continuer de se construire.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 08/09/2014 )
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