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Les riches au tribunal - L affaire Cahuzac et l évasion fiscale
de Monique Pinçon-Charlot , Michel Pinçon et Etienne Lécroart
Seuil Delcourt 2018 /  18.95 €- 124.12  ffr. / 128 pages
ISBN : 978-2-413009849
FORMAT : 19,8x26,3 cm

Étude de Cah.

Le travail d'Étienne Lécroart se découpe assez bien en trois segments à peu près étanches : des dessins d'humour absurdes et hilarants, une pratique de l'OuBaPo osée à tous points de vue, et, depuis peu, des albums de bande dessinée documentaire tendrement ironique. Son association avec les sociologues Pinçon-Charlot avait déjà donné lieu à deux livres remarqués aux éditions montreuilloises La Ville brûle, et c'est dans cette lignée que le trio consacre un album à l'affaire Cahuzac.
Ce livre n'est pas seulement le lieu d'une enquête à destination des amnésiques et des distraits ; il s'agit surtout d'une protestation contre les pratiques de fraude fiscale en général. Les riches au tribunal : un point d'exclamation aurait pu figurer derrière le titre. Car les auteurs s'inquiètent de l'ampleur des dérives d'une classe sociale qui, « si nous n'y prenons garde, (…) s'affranchira définitivement de ses devoirs de solidarité nationale. » L'épilogue, en forme d'allégorie de lutte des classes, donne en la matière tout son sens à l'album.
Auparavant, un inventaire détaillé des fautes soupçonnées et avérées de Cahuzac et de leur procès permet de mieux comprendre l'enchaînement des faits. Il est alors impossible d'occulter la désinvolture de toute une classe politique devant la dissimulation fiscale. La fraude massive est admise à la fois dans les institutions, où le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker est coopté à la Commission européenne, et dans les décisions juridiques, où elle est toujours traitée avec une relative indulgence. Les auteurs regrettent à plusieurs reprises le déséquilibre entre les peines lors du vol d'une personne privée et lors d'une fraude fiscale. Ils s'inscrivent ainsi dans le ras-le-bol de plus en plus perceptible dans la population d'une pratique commune qui empêche toute politique fiscale cohérente et entretient les inégalités au fil des générations.

Ce réquisitoire militant ne laisse pas véritablement place au débat. Il ne s'agit pas tant ici de parler de droit que de morale, pas tant de justice que de lutte des classes. Les auteurs mettent dans le même sac évasion et optimisation fiscale, refusant une distinction couramment utilisée aujourd'hui. Et ne craignent pas d'affirmer que les riches le sont aux dépens des plus pauvres.
C'est que les Pinçon-Charlot sont des sociologues, et s'intéressent surtout à cette oligarchie où on rend compte de ses amitiés comme de ses actes. Le flirt actuel entre bande dessinée et sociologie trouve donc ici une belle illustration, tout en nous interrogeant sur l'avenir de la forme. La sociologie, qui demande de considérer l'être humain comme un objet et de juger ses attitudes avec le moins d'émotions possibles, est-elle compatible avec les techniques d'un mode de communication rompu à la fiction et à l'empathie ?

En guise de réponse à cette question, Les riches au tribunal bénéficient d'un dessinateur iconoclaste. Lécroart case, comme à son habitude, quelques jeux de mots et astuces de composition, un morlaque pour nous présenter le trajet administratif de la rumeur sur le compte de Cahuzac, ou des effets de collage devant un théâtre de marionnettes. Il défriche ainsi les potentialités de la bande dessinée comme pourvoyeuse de schémas et d'explications graphiques, au-delà de la bédéreportage de première catégorie. Et donne tout son sens à des essais de ce type.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 27/09/2018 )
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