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Carnets de voyage
de Wolinski
Albin Michel 2006 /  28 €- 183.4  ffr. / 123 pages
ISBN : 2-226-13244-9
FORMAT : 22,0cm x 29,5cm

Barbus et bimbos au fil des méridiens

Des voyages dans le monde entier, trente-six en tout sur trente-trois ans de vie, parfois au même endroit à quelques années d’écart : car les bons pays, c’est comme les bons livres, on les parcourt plusieurs fois. La Russie par exemple : qui se serait ennuyé à Moscou entre 1989 et 2004 ? 1989 : «la Russie a bien changé. Ça trafique de partout» ; 2004 : «La question qui m’obsède c’est : le pays a-t-il changé profondément ? Tout est en chantier à Moscou, sauf peut-être l’âme russe».

C’est incisif, comme toujours avec Georges Wolinski. Car s’il est engagé, on ne sait jamais bien pour qui ou pour quoi, et tout le monde en prend pour son grade : les Russes et les Cubains, les Japonais et les Camerounais… et les Corses. Car parmi tous ces «pays», figure la Corse, celle d’hier et celle d’aujourd’hui, avec ses femmes et ses cochons, avec ses hommes et leurs «pétards», avec les politiques du continent qui essaient tant bien que mal de comprendre ce qui s’y passe.

Et l’Amérique ? Qui connaît Wolinski se demande d’emblée ce qu’il va montrer de l’Amérique ! Elle y figure bien : USA, 1996. Une double page entièrement consacrée aux femmes, où plutôt aux fesses des femmes qui dansent dans les bars de plaisirs. Le commentaire lubrique est de Stanley Kubrick, parce que son nom s’y prête. Si les Américaines ne sont réduites qu’à leurs organes sexuels, sous le crayon de Wolinski, les femmes du monde entier sont sexy. Celui qui a fait sa réputation avec Je ne pense qu’à ça ! pense vraiment à «ça» tout le temps et partout. Alors, qu’elle soit russe, turque ou cubaine, la femme est avant tout une cambrure sur une paire de fesses.

Très récemment, Wolinski a d’ailleurs expliqué au Point pourquoi il était si obsédé : «la faute aux années 40 et à ses jolies tantes dont il contemplait les seins lorsqu’elles se penchaient vers lui. La faute aux années 50, où les filles n’avaient qu’un frustrant bécotage à lui offrir. La faute aux années 70 et à la libération de la femme, qui les rendit tellement faciles. Et la faute aux années 2000, enfin, dont les filles aux corps américains lui confient leur tristesse de ce que les garçons d’aujourd'hui n’osent plus tellement les regarder». Et l’on comprend qu’il compte Klimt parmi ses maîtres, pas seulement le peintre, mais aussi celui qui demandait à ses modèles de se caresser.

Mais la sensualité est souvent pour Wolinski prétexte à dire autre chose, plus légèrement. Avec les Carnets de voyages, on est dans le ton dès la préface : l’auteur somnole à l’aéroport d’Istanbul, quand des jambes de femme surgissent d’un fauteuil, c’est une Anglaise qui fait sa gymnastique matinale. Et l’auteur de croquer en arrière-plan «un barbu» tout aussi horrifié qu’accablé. Voilà résumés en quelques traits les conflits culturels, religieux et politiques de notre monde.

C’est sa façon de passer le temps en voyage et de garder une trace des moments de grâce offerts par le hasard : on s’en réjouit. On se réjouit aussi qu’il ait présidé cette année le jury du 33ème Festival d’Angoulême, où l’on consacra par ailleurs une rétrospective à son demi-siècle de dessins de presse sur la politique et l’érotisme.

Rachel Lauthelier-Mourier
( Mis en ligne le 27/02/2006 )
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