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Faire de la bande dessinée
de Scott McCloud
Delcourt 2007 /  17.50 €- 114.63  ffr. / 272 pages
ISBN : 978-2-7560-0970-4
FORMAT : 16,7x25,7 cm

Cours du soir

En même temps que la réédition de l'indispensable Art invisible, Delcourt traduit ce nouvel ouvrage inédit en France de Scott McCloud. Ce théoricien light mais sérieux de la bande dessinée change cette fois son crayon d’épaule pour s’attaquer à la pratique proprement dite du neuvième art, se proposant d’offrir à l’artiste, en herbe ou non, quelques précieux conseils créatifs. Pour mettre en scène son discours, McCloud ne varie pas de technique et continue d’élaborer ses cours sous la forme d’une bande dessinée, à la fois ludique et pédagogique. L’ensemble reste toujours agréable à lire, fluide et amusant, d’autant que comme à son habitude, McCloud ponctue ses démonstrations par des exemples finement choisis, issus de sa propre plume ou piochés dans l’œuvre de différents auteurs.

Certes, donner des cours de bande dessinée ressemble un peu trop à une douce arnaque, d’autant que l’entrée en matière de McCloud ne met pas forcément en confiance : « …si je peux apprendre à d’autres à faire des super bandes dessinées, je pourrai me l’enseigner à moi dans la foulée. », annonce-t-il ouvertement avant de préciser en notes qu’il travaille sur un « roman graphique majeur ». Cette louable marque d’honnêteté n’engage pas moins à prendre donc du recul sur ce qui sera ici énoncé…

Avec ce livre, McCloud n’entend pas apprendre à dessiner. Comme il le rappelle lui-même, fleurissent sur les rayons 35 volumes d’ouvrages liés à la question, de comment savoir dessiner le drapé d’une cape de super-héros à la perspective facile cinq volumes. Ici, et dans la droite lignée de ses travaux théoriques, McCloud tend à définir « les secrets de narration » d’une bande dessinée. Sept parties suivent plus ou moins de près ce fil conducteur avec, pour aller vite, le découpage, les expressions et la gestuelle, les textes, les décors, les outils, les styles et le métier en lui-même. Malgré l’apparente rigueur de l’ensemble, quelques étranges écarts emmènent le livre vers des directions hasardeuses, ainsi ce long passage sur les mangas - censé sans doute convaincre un public nord-américain encore mal informé des qualités du genre - ou encore ce fastidieux étalage des nouvelles techniques pour dessiner (qui, à part lui, a vraiment envie de réaliser tout un album à moitié bossu sur un écran d’ordinateur ?).

Avec sa manie des catégories, des segmentations et autres statistiques bancales, McCloud étaye son livre de déclarations parfois étranges pour le lecteur « franco-belge » habitué à une certaine vision de la bande dessinée d’auteur : « Posez-vous la question : le genre dans lequel vous voulez travailler est-il encore en phase croissante ?». Plus loin, il classe les auteurs de bande dessinée en quatre grands groupes avec cette réflexion finale qui soulève moins d’espoirs que des interrogations : « Quelle que soit votre personnalité, rien ne vous empêche de passer d’un groupe à un autre aussi souvent que vous voulez » ; l’artiste est rassuré, puisque lui est ici donnée la permission d’évoluer…
Dès qu’il s’aventure sur le terrain de l’inspiration, de l’intuition artistique et de la création pure (puisqu’il s’agit de cela finalement), McCloud est forcément plus vague, moins convaincant : comment apprendre à être talentueux en effet ? Bizarrement aussi, l’auteur semble à plusieurs reprises mettre en avant un style de dessins plus léché, au réalisme plus prononcé avec ce constat naïf : on a l’impression d’y être. Affichage d’un goût personnel qui pour le coup s’appuie sur une valeur esthétique loin d’être probante.

Reste une indéniable et stimulante connaissance du monde de la bande dessinée et de ses auteurs. Et quelques passages qui, à défaut d’apprendre à faire une « super bande dessinée », restent judicieux et utiles pour aborder quelques albums avec un autre regard. Le premier chapitre notamment, sur la question des choix et du flux de lecture amènent à se poser les bonnes questions autant pour le simple lecteur que pour l’artiste en montrant comment fonctionne, simplement et clairement, une bande dessinée. On retiendra aussi quelques heureuses trouvailles pour aider à la création d’un personnage ou d’un décor : point de grandes leçons mais quelques conseils qui peuvent débloquer un auteur en panne et l’aider dans ses décisions. Le dessinateur retiendra enfin cette fameuse galerie des expressions (Joie + Tristesse = Lueur d’espoir ou encore Dégoût + Joie = «Owww !»), drôle de mini dictionnaire aussi utile que futile !

Loin de démériter malgré d’évidentes faiblesses et la vacuité inhérente à cette catégorie de livres, Faire de la bande dessinée ne fera pas forcément tache à côté des ouvrages de Will Eisner ou de Duc (L’Art de la BD, toujours indépassable dans le genre ! ). Reste maintenant à découvrir le prochain travail de McCloud, son roman graphique majeur, pour voir si Faire de la bande dessinée est réellement utile.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 27/11/2007 )
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