L'actualité du livre
Bande dessinéeet Adaptation  

L’ïle au trésor
de Sylvain Venayre et Jean-Philippe Stassen
Futuropolis 2012 /  17 €- 111.35  ffr. / 88 pages
ISBN : 978-2-7548-0196-6
FORMAT : 21,5X29 cm

Deux-pièces de huit !

Stassen est un auteur précieux. Depuis vingt ans et Le Bar du Vieux Français, il n’a livré que six recueils de bande dessinée. Mais si ses livres sont rares, ils sont toujours riches, empreints de son dessin unique fait de tracés noirs et de grands aplats colorés, forts d’une pensée nécessaire et authentique. Habités.

On salue donc son retour, huit ans après Les Enfants. Il retrouve pour l’occasion le scénariste Sylvain Venayre, avec qui il a déjà illustré Joseph Conrad chez le même éditeur.

Restant dans la proximité des classiques littéraires anglais, les deux hommes adaptent L’Île au Trésor de Stevenson, comme Hugo Pratt et bien d’autres l’ont fait avant eux. Mais il s’agit ici de bien autre chose. Car le récit est transposé de nos jours, dans une ville triste et anonyme occupée par un vaste chantier abandonné. La jeune Jacquot, fille d’un patron de brasserie, récupère un code mystérieux qui ouvre la voie à deux cent mille euros, cachés quelque part dans les bâtiments à moitié démolis.

À la croisée des chemins, cette démarche fonctionne parfaitement : c’est autant une relecture moderne d’un classique de l’aventure qu’une interprétation historique de notre monde contemporain. A force d’adaptation, on connaît tous les personnages de L’Île au Trésor et leurs principales péripéties, de sorte que l’album met en marche une grille de lecture, sans manquer de suspense.
Tous les éléments sont ramenés à un quotidien de banlieue déprimée : le docteur de Stevenson devient un infirmer au chômage, le comte une ancienne prostituée, Ben Gunn le fou un musulman illuminé. Mais par la force du roman, ces parias occupent nécessairement le domaine du bien, trouvent noblesse et légitimité. Malgré toutes leurs justifications, ce sont leurs ennemis qui apparaissent comme les véritables pirates.
Pour jouer le rôle de Long John SIlver, Stassen et Venayre mettent en images Petit Jean Dargent, homme d’affaires véreux, détournant des sommes faramineuses pour les grands partis politiques. Le pouvoir est ambigu, se faisant passer pour vertueux et idéaliste, mais fortement corrompu. L’occasion d’un discours contestataire de la part d’un dessinateur qui ne cesse pas de s’engager. Mais combien d’auteurs, pour l’exprimer, auraient fait le choix d’un polar sombre avec des mafiosi impitoyables ? Sous le dessin lumineux de Stassen, et avec la marque de Stevenson, Dargent prend au contraire une tonalité presque innocente, douce et résolue. Et beaucoup plus réaliste.
A l’inverse, transposé dans notre monde, le roman gagne en force, en dureté. Les morts semblent moins naturelles, elles prennent une couleur tragique. L’aventure nous touche par sa proximité. Les mâts de l’Hispaniola deviennent les échelles des égouts, redonnant au sordide quotidien le dépaysement du grand large.

Il se dégage de ce livre un esprit d’épopée urbaine, une urgence à récupérer les logiques d’action sans les laisser aux pouvoirs officiels. L’aventure appartient à tout le monde.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 05/03/2012 )
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