L'actualité du livre
Bande dessinéeet Adaptation  

Au cœur des ténèbres
de Stéphane Miquel et Joseph Conrad
Soleil - Noctambule 2014 /  17.95 €- 117.57  ffr. / 97 pages
ISBN : 978-2-302-03103-6
FORMAT : 20,5x28 cm

« Aller là »

Londres, fin du XIXe siècle. Vu depuis la métropole anglaise, le monde est à la fois un lieu riche et plein de trous, de blancs cartographiques qu’il est urgent de combler… « Aller là, qui sait où ce genre d’idée peut mener ? » ces paroles sont, pour le narrateur, une invitation au voyage, à la confidence : on est sur la Tamise, mais c’est l’Afrique qui s’annonce à l’horizon, une Afrique qui fait rêver un enfant, et qu’un marin quelque peu énigmatique – Marlow – évoque devant le narrateur. Marlow fut en effet chargé d’une mission par une compagnie coloniale : retrouver l’un de ses agents, Kurtz, et le relever… C’est l’occasion d’une odyssée le long du fleuve Congo et de ses dangers, « au cœur des ténèbres », jusqu’à Kurtz et à son « domaine », si loin de la rationalité mercantile.

Il y a des romans dont on ne sort pas, des ouvrages dont on reste, pour longtemps, des otages, piégés par une ambiance, un héros, un thème, une image : Au cœur des ténèbres est sans doute l’une des plus belles illustrations de ce sentiment, et pour l’amateur du roman de Joseph Conrad, de sa déclinaison cinématographique (Apocalypse now) et de ses adaptations en bande dessinée, il y a là comme un rivage auquel on finit toujours par revenir, tant le livre, et ce personnage étrange, Kurtz, peuvent exercer d’attirance hypnotique sur un lecteur. Après d’autres (et notamment l’excellente adaptation du voyage de Conrad lui même, Kongo, chez Futuropolis), Miquel et Godart embarquent donc pour ce voyage au cœur de l’Afrique, à la recherche de Kurtz et de sa dystopie coloniale.

L’album est réussi : il est réussi parce que les auteurs se sont abandonnés au récit et au verbe de Conrad, en ont accepté les visions, les représentations : Conrad, écrivain réaliste, aime les images dantesques, les scènes paroxystiques, l’excès. On suit donc Marlow dans son périple, on s’enfonce petit à petit dans ce continent africain, quittant les repères de la civilisation occidentale pour quelque chose de plus étouffant et dense. L’adaptation du roman est fine : Stéphane Miquel, tout en opérant un choix dans les scènes, a su s’effacer devant certains personnages, et communiquer à tous cette folie qui saisit, peu à peu, le lecteur. En cela, il a trouvé en Loïc Godart un partenaire de choix : introduisant, dans son récit, des images fantastiques (architectures délirantes de la Compagnie, personnages inspirés de la mythologie grecque, telles ces secrétaires ressemblant aux Moires, p. 8) et quelques clins d’œil inspirés à Corto Maltese, le dessinateur s’est emparé du récit de Marlow, délaissant les couleurs pour un récit sépia, peuplé de silhouettes de guerriers mutiques ou de coloniaux effarés. L’adaptation est riche en ce qu’elle revendique l’espèce de folie qui sous-tend l’ouvrage. Une nouvelle et belle contribution au chef d’œuvre de Conrad.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 10/03/2014 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)