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Le manifeste du parti communiste
de Martin Rowson , Karl Marx et Friedrich Engels
Actes Sud - l'An 2 2018 /  19.80 €- 129.69  ffr. / 20 pages
ISBN : 978330106904
FORMAT : 19x26 cm

Révolutionnaire !

Le manifeste du parti communiste est l’un de ces classiques qu’un lycéen ou un étudiant doit avoir lu. Non pas comme un ouvrage politique, mais déjà comme une œuvre philosophique majeure, un tableau de l’histoire humaine et de ce qui la fait avancer, une tentative de donner à l’évolution des sociétés un sens historique. Cette première lecture laisse en général des traces, tant la démonstration est belle, limpide, certes discutable mais formellement admirable. En lisant le Manifeste, on peut se dire avec satisfaction qu’on a compris quelque chose au cours de l’histoire… La question politique vient après, avec son lot d’interprétations, de revendications, d’emprunts et de détournements. Passons sur cette lecture : l’enjeu ici n’est pas d’enrégimenter pour un quelconque parti, mais juste de souligner la beauté d’une démonstration et la force des mots.

En 1848 paraît donc ce manifeste qui, en un siècle, inspire nombre de régimes et de sociétés. Parmi les lecteurs fervents et impressionnés par ce premier contact avec une pensée en rupture, on croise désormais Martin Rowson, dessinateur de presse dans la veine d’un Hogarth, et caricaturiste virtuose qui officie au Guardian depuis longtemps, mais qui, trop rarement, s’embarque aussi dans l’illustration des classiques. Et donc Martin Rowson décida de s’attaquer à ce classique de la philosophie historique : le résultat est révolutionnaire. On aimerait pouvoir dire que ce texte se passait d’images, cela devient désormais difficile à soutenir, tant cette mise en image est réussie.

Comment illustrer le Manifeste ? Le choix de l’auteur est assez simple : on suit Marx et Engels à travers leur découverte et leur analyse d’un monde capitaliste aux allures infernales. Une promenade dantesque, menée par un drapeau rouge, à travers des paysages hallucinés, qui évoquent à la fois Bosch et ses paysages infernaux , Les Monty Pythons et leurs collages psychédéliques, Hogarth et ses scènes de la vie anglaise, ou encore les visions terribles de The Wall, etc. Bien sûr, on commence cette odyssée avec le fameux spectre qui hante l’Europe, une Europe en rouge (sang) et noir (charbon), aux paysages dantesques, visions cauchemardesques du capitalisme du XIXe siècle. Difficile de décrire ces machines folles et géantes écrasant les travailleurs : la première partie de l’ouvrage entreprend de montrer la société industrielle des années 1840, sur laquelle les deux hommes raisonnent. Un deuxième temps, plus intimiste, entraine le lecteur dans un cabaret, le Kapitaliste komedie, où Marx tient tête à une salle remplie de notabilités politiques, industrielles, religieuses, etc., développant son programme et ses idées, pour se conclure sur une allégorie du futur – la société communiste – aux allures de jardin des délices selon Bosch.
La visite se conclut non pas avec l’appel classique à l’union des prolétaires, mais par un tour d’horizon, sous forme de parc statuaire, des diverses déclinaisons du communisme soviétique, jusqu’à son naufrage actuel dans les ornières de la société de consommation globalisée. Dire que la fin de cet album est aussi optimiste et inéluctable que celle du texte de 1848 serait faux, mais Rowson, à son tour, appelle à se rebeller, à analyser et critiquer, et à se défaire d’une société qui a su transformer le communisme et ce qu’il avait de libérateur en un totalitarisme. Une relecture magistrale, démente, fantastique, ambitieuse… un vrai petit chef d’œuvre d’illustration au service d’un texte qui demeure impressionnant, et dont la force originelle est ici magnifiée.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 30/10/2018 )
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