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Bande dessinéeet Adaptation  

Le Vagabond des Etoiles (seconde partie)
de Riff Reb's
Soleil - Noctambule 2020 /  17.95 €- 117.57  ffr. / 104 pages
ISBN : 978-2-302-09024-8
FORMAT : 27x16 cm

Librement adapté de Jack London

Un nerf de famille

Deux trames essentielles composent LeVagabond des Etoiles, adaptation brillante du roman de Jack London par Riff Reb’s. La première expose l’existence de Darell Standing, prisonnier victime des injustices du monde carcéral, tandis que la deuxième explore, en toute liberté, les existences antérieures dont Standing va progressivement se souvenir. Plus son corps est traité sévèrement par ses geôliers, qui iront jusqu’à la condamner à mort, plus son esprit se délivre de toute contingence dans un vagabondage surnaturel.

Alors que le premier tome du diptyque s’attachait longuement aux conditions de vie dans le pénitencier de San Quentin, Riff Reb’s consacre la plupart des planches de la seconde partie aux différentes réminiscences de Standing. C’est l’occasion pour lui de multiplier les décors, passant de l’Ouest américain des pionniers à l’Empire romain à la naissance du Christ. À chaque fois, nous assistons à des scènes de grand spectacle qui contrastent avec le cadre piteux de la cellule de San Quentin, incluant la montagne sacrée d’une tribu préhistorique et l’Océan Pacifique en furie.

Le thème qui unit ces différents récits est celui de la révolte. Dans chacune de ses vies, Standing suit le cours de son existence au gré des injustices et des trahisons, se battant contre l’adversité avec l’énergie du désespoir, sans jamais éviter la mort et la précédant parfois d’une désillusion finale. Ce point commun, c’est la « peur instinctive à laquelle nous devons tous à un moment donné notre survie ». La « colère rouge ». Une résurgence du socialisme dont London était empreint et qui irrigue son œuvre : Standing se bat contre un monde qui le broie, des forts qui profitent de leur position, des prêtres qui n’écoutent pas les plus faibles. Le directeur du pénitencier n’a rien à envier au chef viking qui torture sa mère ou au mormon qui trahit les voyageurs pour mieux les massacrer. C’est le « struggle for life » de Herbert Spencer, cette énergie vitale qui mène l’être humain jusqu’au bout de son destin.

Cette énergie ne pouvait que parler à Riff Reb’s. Son travail, depuis l’époque de l’atelier Asylum, témoigne avec une vigueur sans pareille de la force sombre du dessin, mettant le mouvement au cœur de l’œuvre, refusant les vérités révélées, adorant les plis et les muscles comme autant de marques du réel. La fascination pour le nerf. Ici comme ailleurs, le résultat est impressionnant.
Sous son pinceau, Le Vagabond des Étoiles résonne aussi comme une mise en abyme : tous ces récits pourraient donner lieu à des aventures, y compris dans des genres aussi bien définis que le western, la robinsonnade ou l’aventure de cape et d’épée. Si le massacre de Mountain Meadows renvoie à un événement historique, les autres lorgnent parfois du côté de l’imaginaire, comme ces expéditions vikings à l’époque de Ponce Pilate. Riff Reb’s n’hésite d’ailleurs pas à user de stéréotypes pour mieux habiller ses Indiens et ses vikings : le réel, parfois, doit laisser une place en creux à la fiction et à ses mythes.
Un mythe, en revanche, sort meurtri de l’aventure. D’une époque à l’autre, la religion n’est qu’un mensonge qui écrase la volonté des autres au lieu de la renforcer. Opium du peuple, caricature de pouvoir, discours d’obéissance servile : pour affronter la mort et la souffrance, la superstition n’est qu’un recours inepte. London lui oppose la certitude de se battre jusqu’à la fin, et la conscience de s’inscrire dans une chaîne de destins.

L’Histoire, en marche, accueille les malheureux avec une hospitalité plus grande que l’Église. Avec une justesse remarquable, le dessin de Riff Reb’s nous invite à la suivre.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 27/09/2020 )
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