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Bande dessinéeet Adaptation  

Faim
de Martin Ernstsen et Knut Hamsun
Actes Sud - l'An 2 2020 /  26.50 €- 173.58  ffr. / 224 pages
ISBN : 9782330141011
FORMAT : 25,5x19 cm

En quête d’inspiration

Avant d’être prix Nobel de littérature (1920), Knut Hamsun fut un écrivain tourmenté, qui connut des difficultés dont il fit son inspiration. Son roman le plus célèbre, La Faim, est ici adapté avec une inventivité et une rigueur étonnante, par Martin Ernstsen. Il s’agit de suivre, dans ses déambulation dans Christiania (capitale danoise) un certain Knut Pedersen, journaliste plus que pauvre, qui cherche dans la faim une sorte d’inspiration, tout en essayant de lui échapper. Une relation improbable, qui voit le héros se faire chasser de tous les lieux, faute d’argent, quémander, batailler pour trouver quelques couronnes et manger un morceau… tout en se comportant, une fois quelques billets en poche, en grand seigneur, au risque de replonger presque immédiatement dans la pauvreté. Un journaliste exalté plus qu’efficace, qui joint à l’angoisse de la page blanche la crampe d’estomac. Cette faim, qui devient sa muse, lui donne à la fois beaucoup de souffrances, mais aussi des hallucinations : et dans un album en noir et blanc, l’auteur matérialise, par des couleurs chaudes ces hallucinations. On y croise donc un Dieu vengeur ou coléreux, un alter ego de l’auteur en petit bonhomme fruste, des fourmis rouges qui lui dévorent les neurones, et un femme idéale, Iyajalli, installée dans un palais céleste et coloré. Car dans le monde gris et noir de Pedersen, la seule beauté autorisée vient de l’amour, celui d’une femme qui l’acceptera, avec ses faiblesses et son humanité torturée.

Le challenge était compliqué : comment rendre les hallucinations, l’espèce de folie qui saisit le héros affamé, l’exaltation et les doutes, au milieu d’une ville sombre, froide, triste. Comment donner au lecteur ce sentiment de solitude et d’échec, mêlé d’enthousiasme pour l’art, et l’écriture. Adapter Hamsun n’était pas évident mais l’auteur a parfaitement su rendre le texte dans sa profondeur. Le trait est à la fois sobre, et même sec, d’une sécheresse qui est celle de la faim elle-même, et tout à coup, à la lueur d’une hallucination, on s’envole dans un monde fantastique, on passe à une autre réalité colorée, ronde et presque caricaturale. Il y a dans cet album très maîtrisé un climat, un ton, une ambiance qui confirment la puissance du texte de Hamsun. Ernstsen a su, sans s’effacer, mettre en avant l’esprit du livre, et mettre en image un sentiment de faim qui s’impose presque au lecteur à chaque page. Une adaptation maîtrisée et puissante.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 11/01/2021 )
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