L'actualité du livre
Bande dessinéeet Humour  

Pinocchio
de Winshluss
Les Requins Marteaux 2008 /  30  €- 196.5  ffr. / 187 pages
ISBN : 978-2-84961-067-1
FORMAT : 21,5x30 cm

Prix du Meilleur Album au Festival international de la Bande Dessinée d'Angoulême 2009.

Petit monsieur ferraille

On le sait, les prix sont souvent injustes. Mais parfois, si l’on patiente un peu, tout le monde y retrouve son compte et justice est finalement faite. Ainsi, si Winshluss ne gagnait pas le grand prix d’Angoulême avec Smart Monkey en 2004, alors qu’il devait impérativement l’emporter, il rafle aujourd’hui la mise avec son génial Pinocchio. Et si les prix ne signifient finalement pas grand-chose, quand ils sont décernés à un album comme celui-ci, publié de plus par un éditeur indépendant, on ne peut que se réjouir.

Ça commence comme dans un album de Tintin : un gros paquebot dans la nuit, un objet jeté à la mer et c’est le début d’un long récit feuilletonesque, une saga à plusieurs personnages, plusieurs styles. Winshluss a choisi d’adapter, à sa sauce, un classique du conte pour enfants. Inscrits dans nos gênes (la faute à Disney plus qu’à Collodi…), les différents épisodes se retrouvent ici, mais détournés, pervertis. Tout est là : Geppetto, Monstro, la fête foraine, Jiminy Cricket… On croise même d’autres personnages issus de nos paysages enfantins : Blanche Neige fait ainsi partie de la fête, de même que sept nains pervers. Winshluss pioche ici et là dans la culture populaire (le film noir, l’imagerie rétro, l’underground sous toutes ses déformations…), triture les clichés, malaxe les références pour compléter son univers, et envoie valdinguer la moralité.

Dans ce conte-là, Geppetto crée non pas une marionnette en bois, mais un petit monsieur ferraille, une arme de guerre qu’il destine à l’armée pour faire fortune de son côté. Mais, après quelques démêlées avec Madame, Pinocchio se retrouve seul au monde. Un monde violent, pollué et sale, où l’enfance n’a plus sa place depuis longtemps et où l’argent, les dictatures et le sang mènent la danse… Mais au milieu de cette société pourrie, c’est, miraculeusement, une certaine tendresse qui perce par endroits. Le livre aurait pu tomber dans le cynisme mais ce sont des bouffées de lumière et de jolies couleurs qui éclatent au milieu du noir et du désespoir ambiant. Le personnage de Pinocchio, carcasse creuse innocente et sans émotion, est comme l’idéal vecteur pour renforcer l’impression de barbarie alentour.

Dans ce livre à tiroirs, la trame générale, celle du récit d’origine, est sans cesse parasitée par d’autres histoires qui, au bout du compte, se greffent à l’ensemble, formant un admirable tout, à l’évidente logique, composant peu à peu un nouveau classique servi par une forme exceptionnelle. Le dessin de Winshluss, loin d’être avare, est une perpétuelle explosion graphique, donnant au lecteur de quoi se régaler tout au long de la lecture. L’auteur multiplie les styles et les approches, cherchant à chaque fois la meilleure forme pour son propos, parodiant un trait, un thème, et étendant chaque fois un peu plus son univers, ses ambitions.

Le résultat évoque Crumb et ses parodies de Disney passé à la moulinette trash et contestataire, autant que Chris Ware pour la variété des styles, l’idée d’un livre-somme, et le soin apporté à la présentation générale (ce beau livre est un Beau Livre). C’est souvent très drôle, parfois plus grinçant, toujours magnifiquement raconté. Indispensable.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 04/02/2009 )
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