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Bande dessinéeet Humour  

Socrate le demi-chien (tome 3) - Œdipe à Corinthe
de Joann Sfar et Christophe Blain
Dargaud - Poisson Pilote 2009 /  10.40  €- 68.12  ffr. / 48 pages
ISBN : 978-2205-057171
FORMAT : 22x29,7 cm

Chienne de vie

Revoilà Socrate, « demi-chien » (moitié chien, moitié philosophe… et héros à temps plein) qui va jouer les chœurs dans une nouvelle version – première partie – d’Œdipe à Corinthe. Cette déclinaison, BD et franchement iconoclaste, du mythe oedipien reprend les canons du genre, illustrés par Eschyle, Sophocle et autres tragédiens antiques… mais loin d’explorer la question traditionnelle du rapport aux dieux, à l’interdit, à la loi et à l’humanité, Sfar et Blain livrent un grand ouvrage sur l’éducation, avec, en maître-penseur, un Héraclès pas au mieux de sa forme (après un coming out mal digéré en compagnie d’Ulysse dans le second album de la série).

Le canevas tragique est connu : Œdipe, bébé innocent, est accusé, par une prédiction, d’être le futur assassin de son père Laios, et amant de sa mère Jocaste… Aussi le paternel en question, accessoirement roi de Thèbes, décide de faire disparaître cette encombrante progéniture. Après tout, si les dieux le disent… Mais le soldat chargé de la mission n’a pas le cœur à exécuter un bébé, aussi l’abandonne-t-il… Et Œdipe est sauvé, recueilli par le roi de Corinthe, grandit et, par un caprice du destin prévu depuis sa naissance, vérifiera effectivement la prophétie, aussi sinistre soit elle ! Le jeune homme, prenant conscience de ses crimes et d’un manque de bol assez exceptionnel, conclut sa triste histoire en s’aveuglant et en partant faire le tour des sites antiques comme touriste grec lambda.

Un drame que, dans leur grande sagesse, Sfar et Blain ont analysé en mettant le doigt sur un point : si cet enfant avait été mieux éduqué, ils n’aurait pas exterminé son père, comme ça, juste pour une querelle mal engagée… Bref, encore un sauvageon qui tourne mal. C’est donc sur cette base pédagogique que Sfar, au scénario (plus besoin de le présenter) et Blain, au pinceau (même combat) ont renvoyé Socrate en mission : objectif, soustraire l’enfant au destin cruel, lui procurer une éducation non conventionnelle pour éviter d’en faire un sac de testostérone armé, et lui donner finalement la possibilité d’un nouveau départ… Mais, on se le demande, que peuvent deux auteurs, même talentueux, contre la volonté divine ? Car tel un jeu de quilles dans un chenil, Héraclès, incarnation de la virilité brute, va se charger de l’éducation (héroïque) du jeune homme…

Et une fois de plus, le charme opère : le mélange délirant entre tragédie grecque et humour nonsense fonctionne à plein, avec un Joann Sfar toujours inspiré dans des dialogues mi-philosophiques, mi-ironiques, mi-figue et mi-raisin de Corinthe… et toujours prompt à prendre le contre-pied du mythe grec. Accompagné d’un Christophe Blain tout autant en forme, dont les pages s’inspirent tant de la peinture symboliste (voir cette forêt corinthienne et hantée par les dieux, où Œdipe est abandonné) que d’un péplum italien des années 70 (Héraclès, décidément chouchouté par les auteurs, cabotine au possible, torse de héros velu et posture hollywoodienne). Que du plaisir pour ce troisième tome d’une série qui ne s’enfonce pas dans la banalité et sait surfer sur la culture antique sans la parodier… un must.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 01/02/2010 )
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