L'actualité du livre
Bande dessinéeet Humour  

Masterpiece Comics
de Robert Sikoryak
Vertige Graphic 2012 /  24 €- 157.2  ffr. / 65 pages
ISBN : 978-2-84999-100-8
FORMAT : 23,5x31 cm

Mashup

On avait parlé de Robert Sikoryak lors de l’exposition Parodies à Angoulême en 2011, dirigée par Thierry Gorensteen. Ses planches mixant La Métamorphose de Kafka aux Peanuts de Schulz avaient particulièrement attiré l’attention. L’exercice de style était drôle autant qu’original et le pastiche graphique parfaitement réussi s’accordait bien avec l’idée initiale : rapprocher deux œuvres littéraires a priori franchement différentes, pour mieux en dégager les points communs. En faisant de Charlie Brown un avatar de Gregor Samsa, Sikoryak pointait à la fois la paranoïa ambiante de ces deux œuvres, la solitude extrême deux protagonistes et l’humour noir et désespéré régnant dans ces pages. La parodie allait donc au-delà du simple gag ou de la bête moquerie, et devenait presque une ébauche d’étude littéraire où les deux œuvres se répondaient l’une l’autre et s’expliquaient comme en miroir.

Avec ce recueil idéalement traduit par les éditions Vertige, on retrouve ces fameux strips mais aussi quantité d’autres pastiches exécutés par Sikoryak depuis 1989 au sein de plusieurs publications, dontRaw.

Le principe est toujours le même : il s’agit de s’attaquer à un grand classique de la littérature, sans jamais, ou presque, trahir le texte original, mais en en donnant une version graphique qui puise dans d’autres classiques, issus du neuvième art cette fois. On croise ainsi dans un même ouvrage, Batman, Méphistophélès, Candide, Garfield, Little Nemo ou encore l’étranger de Camus… Les rapprochements ainsi opérés sont à la fois surprenants, absurdes, mais toujours très drôles et pertinents. Le décalage comique (ou simplement étrange) opéré ne s’insinue donc pas dans une refonte du texte (comme avaient pu le faire l’équipe de Mad ou le duo Gotlib/Alexis dans Cinemastock), mais bel et bien dans le choix de la bande dessinée qui répondra à l’œuvre originale. Il peut ainsi s’agir, comme dans le Kafka/Schulz d’une concordance dans les thèmes mais il y a d’autres rapprochements opérés par Sikoryak. Ainsi, lorsque c’est Little Nemo qui sert Le Portrait de Dorian Gray, il s’agit plus ici d’un esprit graphique qui est convoqué : le gaufrier de McCay avec ce mouvement continu découpé en cases qui a été mis en place dans plusieurs célèbres planches du dessinateur, est ici parfaitement adapté pour suivre l’évolution d’une vignette à l’autre du fameux portrait de Dorian.
Plus loin, c’est la nature même de Superman, l’extraterrestre, qui en fait l’écho de l’étranger de Camus, avec qui il partagerait le même recul sur les choses, la même froide distance. Le résultat est une suite de fausses couvertures absurdes, forcément, mais très drôles.

Ce qui fascine dans la plupart de ces rapprochements c’est leur évidence. Ainsi les Hauts de Hurlevent, grand roman tragique et romantique se prête aisément à l’ambiance gothique et horrifique dans cette nouvelle version qui s’inspire des Tales from the Crypt. Et même lorsque plus rien n’a avoir avec rien (Batman et Dostoïevski ??), le mélange fonctionne, naturellement, grâce d’abord à un parfait pastiche graphique, mais aussi à une certaine osmose qui s’instaure, miraculeusement, entre deux récits. Au-delà de l’exercice de style donc, une véritable troisième œuvre découle de ces assortiments insolites, celle d’un maître, érudit et malicieux.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 20/03/2012 )
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