L'actualité du livre
Bande dessinéeet Humour  

La proie
de David De Thuin
Glénat - 1000 feuilles 2014 /  49 €- 320.95  ffr. / 1008 pages
ISBN : 9782344000144
FORMAT : 17x24 cm

Chemins de proie

Le pavé de bande dessinée est en train de devenir un format éditorial à part entière. Toujours plus gros, toujours plus dense, il nous apporte le réconfort d'un temps de lecture garanti et d'un investissement maximum de tous les intervenants.
Avec cette « histoire en dix mille cases réparties sur mille pages », la collection 1000 feuilles s'offre un beau cadeau d'anniversaire. Le catalogue le plus curieux des éditions Glénat, qui hébergeait déjà Nine Antico et Marie Caillou, fête ainsi ses cinq ans d'existence et l'arrivée de David De Thuin.

Le livre frappe d'abord par son exercice de style. En travaillant sur un aussi long format, De Thuin doit trouver un rythme nouveau. Il ne craint pas de s'aventurer le plus loin possible dans ses dialogues, menant une scène jusqu'au bout, et approfondissant les émotions de ses personnages. Si le récit pèche parfois par gratuité, avec des cases qui tirent souvent à la ligne, il y trouve aussi une identité nouvelle. La réalisation se rapproche de plus en plus d'une écriture, avançant en droite ligne plutôt que construisant un cadre. Du coup, le dessin s'affine, s'épure, approche parfois le symbole. De Thuin se laisse aller à une mécanique du vide et du plein qui s'épanouit dans des cases formidables de tendresse, de neige et d'étoiles.

On pense aux planches de Rosy, de Herriman. À l'opposé d'un Lewis Trondheim qui, dans les Carottes de Patagonie, partait d'une forme minimale pour la compliquer au fur et à mesure, De Thuin commence son récit avec un dessin déjà stylisé et l'affine ou l'épaissit au gré des planches.
Le choix du scénario s'aligne sur cette ambition. Nous suivons les pas de Topuf, un mammifère canin échoué sur un continent étrange dont tous les habitants s'accordent pour le prendre pour l'Élu. D'étape en étape, dans un enchaînement d'épisodes qui se suivent plus qu'ils ne s'amplifient, Topuf rencontre les nombreuses espèces qui peuplent l'île et leurs différentes coutumes. Nous perdons rapidement le fil des nombreuses pistes et nous suivons au jour le jour les différents personnages de De Thuin dans leur traversée du continent. Il leur fait souvent prendre des chemins de traverse, débattre d'un sujet philosophique ou s'interroger sur la classification des espèces.

C'est une histoire qui nous parle de la vie et de la mort, comme des phénomènes naturels qui peuvent se produire à tout moment, et des petits riens qui font l'existence. De Thuin cherche une poésie du quotidien et parvient souvent à la mettre en scène, dans de petites cases où il esquisse ses drôles de personnages. Ces bestioles, relevant d'une classification imaginaire des êtres vivants, se tiennent quelque part entre Macherot et Buffon. On se souvient aussi des Zorilles, les premières bêtes que De Thuin nous avait présentées, il y a longtemps, dans le journal de Spirou.
Malgré ce baroque, il est question d'un Élu et des procédés habituels à la fantasy. Mais ici rien d'épique, et les clichés habituels sont déformés pour donner lieu à de petites réflexions sur le quotidien. On retrouve donc quelques épisodes canoniques, comme l'être démoniaque dont on ne doit pas dire le nom, le rêve prémonitoire ou le jardin maléfique d'apparence paradisiaque. À chaque fois, il s'agit moins de construire un suspens que de faire réagir, chacun à sa façon, les nombreux êtres de cet univers. Comme des petits bouts d'existence mis côte à côte.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 15/01/2014 )
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