L'actualité du livre
Bande dessinéeet Humour  

Un océan d’amour
de Wilfrid Lupano et Grégory Panaccione
Delcourt - Mirages 2014 /  24.95 €- 163.42  ffr. / 224 pages
ISBN : 978-2-7560-6210-5
FORMAT : 19,8x26,3 cm

Comme un poison dans l’eau

Quand deux auteurs prometteurs multiplient les albums chez le même éditeur, il est naturel qu’ils soient un jour amenés à travailler ensemble. Le duo Lupano-Panaccione est inédit, mais il semble bel et bien couler de source.
Wilfrid Lupano s’est fait connaître ces derniers années par des scénarios légèrement décalés, reconstruisant la bande dessinée de genre sur des bases sensibles et humanistes. Le Singe de Hartlepool et Les Vieux Fourneaux, notamment, ont suffi à asseoir sa réputation chez les libraires et dans le public.
Jusque là, ses dessinateurs avaient généralement opté pour une forme efficace et assez traditionnelle. Grégory Panaccione relèverait plutôt d’une autre catégorie, celle des iconoclastes et des provocateurs : en cela surtout qu’il pratique systématiquement la bande dessinée muette.

Un océan d’amour montre bien l’union des deux styles : de nombreux plans fixes, où les personnages s’agitent face à l’œil du lecteur, alternent avec une narration plus mouvementée faites de cases disproportionnées et de vues subjectives. Le récit qui en découle est donc à la fois intime et passionnant, riche en surprises et en subtilités.
Le héros est un vieux marin rachitique, emporté malencontreusement par un immense chalutier qui l’a pris dans ses filets. Accroché à une petite coque de noix, le vieil homme va traverser l’Atlantique et en découvrir les beautés et les tristesses. Pendant ce temps, sa femme, bigouden autant que matrone, s’inquiète pour lui et prend à son tour la mer. Le couple se cherche et se croise dans tout l’océan, au gré de rebondissements variés.

L’océan, troisième personnage du livre, est dépeint dans toutes ses variétés, depuis le port de La Havane jusqu’au continent de plastique. Ses mouettes, ses pirates, ses paquebots et ses pétroliers composent une faune bigarrée qui se rendent pourtant devant la majesté des vagues. Panaccione, pour la première fois sur un aussi grand format, peut en mettre au lecteur plein la vue avec des doubles pages qui nous donnent l’impression de n’être qu’une goutte d’eau au milieu de l’océan. Il montre comment utiliser les outils informatiques avec élégance et modernité, pour mettre en place un code narratif efficace et universel.

Affectueux et écologiste, lointain descendant de Popeye et de Gaston, cet Océan d’amour déborde de bons sentiments ; mais sans mièvrerie, et sans militantisme. Simplement, dans un monde où violence et pollution semblent les règles essentielles, c’est la tendresse qui peut seule rendre le goût de l’espoir.
De tendresse, Lupano et Panaccione n’en manquent pas. Tout le casting est présenté avec chaleur : Fidel Castro est aussi gentiment ridicule que la matrone bretonne accrochée à ses dentelles. Les clichés sont porteur d’humour, notamment sur la Bretagne où semblent vivre des foules de bigouden à côté d’une voyante qui prédit selon la forme des crêpes. Mais le rire ne se détache pas d’une affection profonde. Les deux héros s’aiment envers et contre tout, malgré leur relation mère-fils, au-delà de l’absence apparente du désir. C’est l’affection et la volonté qui sont ici mis en exergue, valeurs positives pour des personnages fidèles à eux mêmes jusque dans leur caricature.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 09/11/2014 )
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