L'actualité du livre
Bande dessinéeet Humour  

Les Caïds de la gaudriole
de Etienne Lécroart
Editions Audie - Fluide Glacial 2007 /  11.95 €- 78.27  ffr. / 48 pages
ISBN : 978-2-8581-5035-9
FORMAT : 24x32 cm

Science amusante

Même s’il ne fait pas partie des membres fondateurs de l’OuBaPo, Étienne Lécroart en est l’un de ses plus illustres représentants. D’une part, parce qu’il en est un infatigable arpenteur depuis la création du mouvement au début des années 90, d’autre part parce que l’habileté et l’invention qu’il distille dans chacun de ces travaux sont toujours mises au service d’un humour désopilant, rendant ainsi l’exercice toujours délicieux à découvrir. Avec cet album, recueil d’histoires déjà parues dans Fluide Glacial, Lécroart retrouve les personnages qu’il avait déjà mis en scène dans trois opus de la collection Mimolette de l’Association (Cercle vicieux, Le Cycle, L’élite à la portée de tous), à savoir le Professeur Fignoteau, Mademoiselle Anne et l’assistant Robert Marmouset, plongés dans des nouvelles aventures où l’absurde et le délire côtoient sans cesse expérimentations graphiques et narratives.

Huit histoires sont réunies ici, contant les différentes expériences scientifico-délirantes du Professeur dans sa quête de l’humour parfait et de ses dérivés. Le voici ici inventant la machine à gonfler les gags (ou comment à partir d’un mauvais calembour faire une histoire grivoise), ou là ravi d’avoir isoler le gène de l’humour et prêt à le distiller autour de lui. Plus loin encore, il devient le formateur intransigeant, le maître de combat des jeux de mots bidons et des chutes, enseignant son précieux savoir à ses deux fidèles recrues. Enfin, dans un dernier combat légendaire, il s’en va-t-en guerre contre les horribles ennemis japonais et leur sens de lecture de droite à gauche venant empiéter sur la vraie, la bonne bédé franco-belge.

Chacun de ses récits est un régal d’intelligence et d’humour. On admire l’habileté avec laquelle Lécroart met en place ses scénarios, chacun répondant à une logique précise, suivant parfois une contrainte imposée, et pourtant toujours facile à suivre et d’une fluidité (glaciale ?) parfaite. Quelques exercices tirés de l’OuBaPo sont donc ici mis en scène : itération iconique, palindrome ou encore l’expansion et le pliage (cf.la couverture et ses rabats)… la lecture de ces planches ne supportant évidemment pas l’ignorance de ces règles instigatrices sous peine de rester de marbre devant les agitations de ces personnages finalement sans grande envergure dès lors qu’on leur a ôté leur principale raison d’être. Et a contrario, certaines planches (comme celles de l’épisode « Itération iconique » vite lassantes à lire), une fois le principe compris et digéré, paraissent vite ennuyeuses et tournent à vide, privées d’autre chose à quoi se raccrocher que son seul dispositif. C’est le risque à prendre lorsqu’on s’attaque à ce genre de jeux ; une fois les règles assimilées, il faut prévoir plusieurs variantes et coups de poker pour éviter la routine.
Enfin, corollaire de l’exercice oubapien, la mise en abîme, plus jovialement débridée que chez un Marc-Antoine Mathieu, s’accompagne ici volontiers d’une certaine paillardise qui pourra peut-être rebuter quelques ronchons, mais nul doute que tous apprécieront les drôles de citation où, dans un même épisode, les personnage se transforment successivement en différentes émanations de la bande dessinée : de la gravure début de siècle au héros à gros nez en passant par un style semi réaliste niais au possible : savoureux ! Les planches de Lécroart sont ainsi comme des terrains de jeux débridés où tout se bouscule : les genres se mélangent, les cases se confrontent, les sens de lecture se multiplient et les phrases ne veulent jamais dire qu’une seule chose.

Certes, pour qui connaît déjà les travaux de Lécroart, certaines planches ici paraîtront redondantes, comme un auteur qui, à force d’avoir œuvré sur le sujet, travaillerait en pilotage quasi automatique avec plus ou moins la même réussite. Mais le résultat reste une bande dessinée ludique et souvent très drôle, très riche et comme un beau résumé de l’art de Lécroart.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 09/10/2007 )
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