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Mademoiselle Louise de Geerts , Sergio Salma et Mauricet Dupuis 2021 / 35 €- 229.25 ffr. / 264 pages ISBN : 979-1-0347-6059-6 FORMAT : 21,8x30 cm Cailloux bijoux joujoux Après les quatre volumes de l’intégrale Jojo, les éditions Dupuis ajoutent un tome supplémentaire consacré tout entier à Mademoiselle Louise, l’héroïne de quatre albums de Geerts et Salma parus entre 1993 et 2009 : une pauvre petite fille riche, que son luxe disproportionné ne console pas de la solitude. De la même façon que Jojo est associé presque exclusivement à la mémoire du dessinateur, Mademoiselle Louise porte bien haut l’identité de Geerts, son dessin chaleureux et sa modernité rétro. La série connaît pourtant une histoire particulière : si on retrouve dans ses deux premiers albums le graphisme de Geerts à son apogée, les deux suivants n’existent que grâce au crayonné de Mauricet puis au découpage très précis de Sergio Salma. On reconnaît leurs traces dans un dessin où les styles se mêlent harmonieusement, combinaison d’école de Charleroi et de déclinaisons gros nez, volonté de faire revivre une certaine modernité de l’esprit Spirou. Mais c’est surtout la présence d’un scénariste dès la création du personnage qui lui donne sa tonalité propre : Sergio Salma s’impose là comme un imaginatif soigneux, soucieux tout à la fois de développer un univers autonome et de s’inscrire dans la continuité de l’œuvre de son ami. Ainsi, lorsque Geerts, pris par un réflexe irrationnel, prend pour modèle le vieux Sud des États-Unis tout en situant son récit ici et maintenant, Salma trouve des idées pour justifier le décalage dans le scénario. Le père de Louise, multi-milliardaire, lui a construit une bulle hors du temps. Le personnage évolue donc un pied dans un imaginaire littéraire, celui des apaches du temps d’Aristide Bruand et de la nounou d’Autant en emporte le vent, et un pied dans la modernité des écrans plats et des téléphones portables. Salma imprime aussi sa marque dans le rythme particulier du récit très court, en 2-3 planches, qui fonctionne rarement sur le modèle du gag à chute. Des petites saynètes humoristiques où perle l’émotion plus souvent qu’à son tour, notamment pour souligner, avec un pathos unique alors dans la bande dessinée jeunesse, la tristesse de cette petite fille délaissée par son papa. L’occasion parfois, aussi, de livrer un discours social, en opposant cette vie et celle du pauvre cambrioleur malchanceux dont le vélo finit embouti par la Rolls-Royce. Tout cela est-il bien moral ? Les riches se moquent de la richesse, les pauvres en rêvent. En jouant plus sur l’empathie que sur l’identification, Salma choisit de faire dominer la fantaisie, le côté hors-norme, là où Jojo revient toujours au quotidien. Même une tranche de vie sur l’école ou les copains est traitée comme une scène spectaculaire. Curieux destin ! Mademoiselle Louise, à sa création, ne disait pas son public. Il s’agissait pour les éditions Casterman de se trouver un public enfantin alors que Tintin se sentait un peu seul dans les collections. On peut supposer que le lectorat à qui on proposait en même temps Mademoiselle Louise et Nathalie était plutôt féminin, mais assez mature pour percevoir ironie et second degré. Puis, lorsque la série a perduré aux éditions Dupuis, elle a intégré l’éphémère collection Punaise pour très jeunes lecteurs. L’ironie ne semblait plus un atout commercial. Voilà qu’aujourd’hui, relativement tôt, la série ressuscite sous la forme d’un épais volume pour adultes nostalgiques. Avec un beau dossier illustré revenant sur son histoire, en donnant longuement la parole à Sergio Salma tout en resituant les albums dans l’œuvre de Geerts. Même la couverture, en reprenant une illustration parodique de Largo Winch, opte résolument pour une modernité qui nous éloigne un peu de l’univers candide originel. On sent palpiter ainsi un personnage fait de mille petites contradictions, d’élans irrationnels et de fêlures intimes, qui va et vient sur sa balançoire et nous propose ses facettes une à une. Clément Lemoine ( Mis en ligne le 17/09/2021 ) |
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