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Bande dessinéeet Jeunesse  

Le Roman de Renart (tome 1) - Les Jambons d'Ysengrin
de Mathis et Thierry Martin
Delcourt - jeunesse 2007 /  8.90 €- 58.3  ffr. / 32 pages
ISBN : 978-2-7560-0358-0
FORMAT : 22,5x30 cm

Comme un Roman

Adapter Le Roman de Renart en bande dessinée, c’est placer son oeuvre sous des auspices exigeants. On se souvient que Goscinny et Uderzo l’avaient choisi comme thème pour leur nouvelle série dans Pilote en 1959, avant de préférer les Gaulois en apprenant que Trubert travaillait sur le même sujet de son côté. Depuis, le goupil malicieux a prêté son inspiration à un certain nombre d’auteurs, en particulier Cabanes et Forest dans les années 1980. Curieusement, on ne le trouvait plus aujourd’hui dans aucun catalogue d’éditeur de bandes dessinées.

C’est logiquement la très littéraire collection Delcourt Jeunesse qui abrite cette nouvelle version. Jean-Marc Mathis, qui signe l’adaptation, a déjà publié de nombreux albums portant un regard tendre mais impertinent sur l’enfance. Le Roman de Renart est en comparaison très sage, les auteurs rappelant même que si on lui pardonne ses farces, c’est uniquement car «il y a mille ans, la vie était autrement plus dure qu’aujourd’hui». En effet, si la morale est sauve, c’est de justesse, et Renart vole, ment, pille, jusqu’au moment où il trouvera plus malin que lui pour le rouler dans la farine. Dans cet hiver de Moyen-Âge, le combat pour la nourriture est un enjeu de tous les jours, et les intéressés ne manquent pas dès lors qu’un jambon dépasse d’une poutre.

Les personnages sont tous victimes de cette loi du plus fort, où le vainqueur d’une rouerie peut être victime d’une autre. D’où une sarabande de personnages cupides, veules et plus ou moins roublards, croqués avec fidélité au roman originel. Nous rencontrons bien sûr Ysengrin, le loup stupide, mais aussi Tibert, le chat futé, et le méconnu Primaut, un loup plus cupide et malin que le précédent. Mathis a même la bonne idée de nous donner le point de vue des lapins, victimes désignées des personnages principaux. Il redéfinit de cette manière l’univers animalier du Roman de Renart, dont le statut entre fable et récit n’a pas toujours connu pareille clarté.

La succession des chapitres permet de relire des épisodes connus comme celui des anguilles et d’en découvrir d’autres plus rares comme le partage de l’andouille. Les titres mêmes évoquent un repas continuellement interrompu, l’appel du ventre qui suffit en somme à fournir un enjeu de narration.Mais la réussite de cette énième version tient surtout au dessin de Thierry Martin. Story-boarder dans l’animation, puis auteur de plusieurs albums chez Soleil (Le Pil et Vincent, mon frère mort-vivant déjà avec Mathis) il se lance dans la bande dessinée jeunesse avec bonheur. Son dessin allie d’une grande élégance des décors fouillés et une grande lisibilité, portée par la loi du trait minimal pour l’expressivité des personnages. Il n’a pas peur non plus des grandes surfaces vides, et la neige de la forêt éclate souvent de grands aplats bleus et beiges. La narration est dès lors très efficace et très subtile, toute en douceur, et le lecteur se sent à son tour comme plongé dans les sous-bois. On se prend à chercher les champignons au creux des arbres.

Les matériaux ne manquent pas pour donner une suite à ce premier tome. Tant mieux, car ainsi le goûter sera complet.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 28/02/2007 )
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