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Entretien avec Etienne Davodeau - Auteur de Rural !



Au cul des vaches

Parutions.com : Etes-vous d’accord pour qualifier Rural ! de BD militante ?

Etienne Davodeau : Je dirais plutôt qu'il s'agit d'une BD qui parle et qui montre des militants. Je ne me considère pas moi-même comme un militant. Si j'ai obtenu une préface de José Bové, c'est parce que je lui ai demandé s'il accepterait de soutenir une forme de bande dessinée très minoritaire racontant une agriculture elle-même très minoritaire. Il a dit oui très rapidement.

Parutions.com : Est-ce qu’on peut en faire un genre ?

Etienne Davodeau : Mon souhait à l’origine était de faire une BD de reportage qui parle de choses réelles. Le sujet m’est tombé dessus par hasard alors que je réfléchissais à deux ou trois autres projets. La BD s’occupe rarement du réel, mais même dans mes fictions je cherche à aborder le plus possible la réalité concrète. Il est vrai que, traditionnellement, la BD est un média de rupture avec le réel. Beaucoup de lecteurs de BD disent en lire en rentrant chez eux après une journée de travail pour "se vider la tête". J’ai été conforté dans cette idée de faire une BD de reportage en lisant Joe Sacco qui a publié aux Etats-Unis des BD sur les conflits de l’ex-Yougoslavie ou sur la Palestine et Israël. Delcourt m’a depuis proposé de diriger une collection, avec Thomas Ragon, et nous sommes à la recherche de récits de ce type, c'est-à-dire qui ne soient pas des documents froids et descriptifs mais aussi de vraies visions d'auteur .

Parutions.com : Dans cette perspective, qu’est-ce que la BD offre de plus par rapport à d’autres supports ?

Etienne Davodeau : Je suis pas certain que cela offre quelque chose de plus. Mais c’est un outil idéal, léger, sans obstacle technique comme une caméra. Cela induit à la fois une proximité avec les personnages, et dans le même temps une distance nette, parce que c’est dessiné. On est obligé de se dire que quelqu’un a fait ça, on ne croit pas immédiatement à ce qu’on voit, on n’est pas endormi comme à la télé devant une vidéo. Mais la véracité est la même : douteuse. Sauf qu’ici c’est assumé , c’est un récit subjectif qui se montre tel quel.

Parutions.com : Le sujet commande t-il le style ?

Etienne Davodeau : Non, c’est la pratique qui commande le style graphique et narratif. C’est différent du travail que je mène quand je fais des fictions en couleurs. Le dessin gagne en fonction narrative et se rapproche du croquis. C’est un dessin jeté, une écriture instantanée. Les décors sont esquissés, et la couleur risquerait de parasiter le propos narratif. En plus le format est pratique, c’est un écriture très différente sans contrainte de pagination.

Parutions.com : Puisqu’on parle de contrainte, ça doit prendre un temps fou de mener un tel projet ?

Etienne Davodeau : J’ai passé un an complet à la ferme pour avoir une vision globale du travail qui s'y effectuait. Je voulais voir tous les travaux d'une ferme sur le cycle d'une année. À tout ça, il a fallu ajouter le temps habituel de réalisation d’une BD. Cela fait plus d’un an et demi. Il faut pouvoir anticiper financièrement et j’ai été bien aidé par une bourse du Centre National du livre.

Parutions.com : Vous prenez parti vigoureusement, y a-t-il eu des réactions politiques ?

Etienne Davodeau : Non, mais il y en a eu d’ordre local, par les gens concernés, et il est apparu ensuite, depuis mai, quand Rural! a été publié, que la BD est devenue un vecteur pour rassembler des gens dans des situations similaires. Les opposants à l’autoroute Grenoble-Sisteron par exemple nous on invités, les membres du GAEC et moi. Le suivi du livre me fait rencontrer des gens tout à fait extérieurs au milieu habituel de la BD. C'est aussi ce qui m'intéressait en me lançant dans ce projet.

Parutions.com : Est-ce que ça vous semble logique qu’une BD minoritaire comme celle-là soit sélectionnée à Angoulême ?

Etienne Davodeau : Logique je ne sais pas, mais ça fait plaisir. La première bonne nouvelle a été de se faire éditer, ça n’a pas été facile. Ensuite, on a découvert qu’il y avait pour ce livre des lecteurs en quantité non négligeable. Il est lu, entre autres, par des gens qui ne lisent jamais de BD habituellement, mais qui sont attirés par le sujet. Le livre a reçu un prix au festival du livre de Montréal, mais tout ça ce sont juste des choses en plus.

Propos recueillis le 18 janvier 2002 par Nicolas Balaresque
( Mis en ligne le 28/01/2005 )
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