L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Poches  

La Vie à en mourir - Lettres de fusillés. 1941-1944
de Guy Krivopissko et Collectif
Seuil - Points 2006 /  6 €- 39.3  ffr. / 334 pages
ISBN : 2-7578-0020-5
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en avril 2003 (Tallander).

Préface de François Marcot.

L'auteur du compte rendu: Sébastien Laurent, agrégé et docteur en histoire, est maître de conférences à l’Université Bordeaux III et à l’IEP de Paris. Chargé d’études au Service historique de l’armée de terre, il consacre ses recherches depuis plusieurs années aux services de renseignements militaires et policiers aux XIXe et XXe siècles. Il est le fondateur de la section "Histoire & sciences sociales" de Parutions.com.


Je meurs sans haine pour le peuple allemand…

Qui ne connaît ces paroles tirées de «L’Affiche rouge», poème d’Aragon en hommage à la lutte des FTP-MOI, immigrés engagés dans la résistance aux côtés des communistes - chanté par la voix majestueuse de Léo Ferré ? Ce vers symbolise à lui tout seul l’esprit des cent vingt lettres de fusillés que publie Guy Krivopissko. En sélectionnant ainsi des billets ou des lettres adressés par des enfants, des pères ou des maris à leurs familles, d’août 1941 à août 1944, à la veille ou le jour de leur exécution, Guy Krivopissko n’a pas seulement voulu faire œuvre pieuse. Il s’agit en fait d’une édition annotée de grande qualité : le passé de chaque fusillé est retracé, son appartenance à tel ou tel mouvement ou réseau de résistance évoqué, ainsi que la raison de sa condamnation.

Le choix des lettres, et c’est heureux en des temps où la mémoire se communautarise, est éclectique et couvre tout le spectre politique et spirituel de la France des années noires. Des communistes aux catholiques, les fusillés, otages ou condamnés à mort, invoquent l’homme, l’histoire, le destin ou Dieu au moment de se séparer des leurs. Tous, y compris les immigrés, témoignent d’un sentiment du devoir accompli et d’un réel patriotisme. Certaines lettres sont raidies par la retenue et la volonté de ne rien céder à la censure allemande, d’autres se font confessions ou tendres, certaines se veulent être des testaments.

Le livre met au passage le doigt sur un fait bien connu, la complicité criminelle des autorités françaises, soit dans l’arrestation, soit dans la désignation d’otages. L’aspect le plus frappant est l’absence totale de sentiment d’hostilité à l’égard des Allemands, très rarement évoqués. Sourd également la certitude de la libération du pays. Cette dimension peut surprendre mais l’historien peut y voir une indication d’un idéal chevillé au corps animant de nombreux résistants. Il est certes impossible de savoir si ces lettres sont représentatives de l’ensemble des individus fusillés : pour de tels témoignages assurément exceptionnels d’abnégation combien se sont effondrés, ont hurlé leur haine devant leurs fusilleurs ou sombré dans le désespoir ou la folie ? Face à la mort, l’humanité retrouve une étonnante diversité.

Sébastien Laurent
( Mis en ligne le 12/05/2006 )
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