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Histoire & Sciences socialeset Poches  

L'Agonie de la IVe République - 13 mai 1958
de Michel Winock
Gallimard - Folio histoire 2013 /  9.60 €- 62.88  ffr. / 495 pages
ISBN :  978-2-07-045083-1
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en mars 2006 (Gallimard - Les Journées qui ont fait la France)

Comment meurt une République

Le 13 mai 1958, dans l’après-midi, la foule des français d’Alger se presse devant les grilles du Gouvernement Général. Emmenée par les ultras, elle conspue Pierre Pflimlin, président du Conseil désigné, qui au même moment, à Paris, se présente devant l’Assemblée nationale pour obtenir son investiture. Les activistes, les associations patriotiques algéroises suspectent le député MRP, désigné par le président René Coty pour succéder à Félix Gaillard à la tête du gouvernement, de vouloir «brader l’Algérie» : en effet, Pierre Pflimlin a osé envisager des pourparlers avec le FLN. Aux cris d’«Algérie française» et au son de la Marseillaise, les manifestants s’emparent du siège du Gouvernement Général. Pris de court, le général Massu accepte de prendre la tête d’un comité de salut public, engageant ainsi l’armée sur la voie de la rébellion.

C’est à cette journée du 13 mai 1958 que Michel Winock consacrait en 2006 un très bel ouvrage dans la collection «Les journée qui ont fait la France» chez Gallimard (aujourd'hui en poche Folio Histoire). Dans ce vibrant plaidoyer pour l’histoire politique, il souligne, démontre avec brio la charge subversive, l’effet catalyseur de cet événement que fut la prise du Gouvernement Général par le peuple français d’Alger. En un après-midi, Alger venait de déclencher le processus qui allait conduire, quelques semaines plus tard, à la mort d’un régime mal-aimé : la IVe République.

L’auteur s’interroge sur les raisons de la colère des Français d’Algérie, il s’efforce également de mettre en lumière les conséquences lointaines du 13 mai 1958, mais surtout Michel Winock narre, scrute, analyse les longues journées qui séparent la constitution d’un comité de salut public à Alger de l’investiture du général de Gaulle à la présidence du conseil le 1er juin. Journées décisives au cours desquelles les stratèges échafaudent et affinent leurs plans, l’armée menace, les masses défilent de part et d’autre de la Méditerranée, les états-majors politiques se concertent, engagent des partis de poker menteur ; surtout, journées au cours desquelles émerge et se détache peu à peu la haute et prestigieuse silhouette du général qui sut jouer de la peur inspirée par l’armée, tout en tentant de contrôler cette dernière, pour revenir, légalement ou presque, aux affaires.

Au cours de ce mois de mai 1958, faute d’avoir voulu envisager des solutions alternatives, une bonne partie de la classe politique, socialistes compris, finit par se rallier au général de Gaulle, dont le retour, ardemment souhaité par les Français d’Algérie, était également espéré par les militaires en rupture de ban, le général Salan en tête. Mais tous ne faisaient pas appel au même général ! Si les uns voyaient en lui le champion de l’Algérie française, d’autres pensaient qu’il était le seul à disposer de l’autorité morale nécessaire pour engager des négociations avec les rebelles algériens. Certains enfin, plus prosaïquement, attendaient qu’il mette fin à la crise institutionnelle dans laquelle était plongée la France, quitte à le traiter ensuite de dictateur liberticide.

En guise d’épilogue, Michel Winock s’efforce de donner un sens à la journée du 13 mai, à ce mois de mai 1958, et pose la question qui brûlait les lèvres du lecteur : la Ve République est-elle donc née d’un coup d’Etat ? Son analyse, tout en nuances, l’amène à conclure au «quasi coup d’Etat», au «coup d’Etat de velours», au «coup d’Etat al dente», ce qui n’empêchera pas le lecteur d’être troublé par la duplicité du général de Gaulle, soucieux de respecter les formes institutionnelles d’un régime honni mais n’hésitant pas à laisser planer, à orchestrer la menace d’un débarquement des paras sur Paris pour accélérer son retour – légal - au pouvoir.

Inutile de reprocher à l’auteur de ne pas avoir eu recours à des sources inédites : il fait œuvre de synthèse, d’interprétation. La période, les lieux, les événements évoqués touchent des blessures mémorielles qui ne sont pas encore refermées : un ouvrage magistral et enthousiasmant, magnifiquement écrit.

Raphaël Muller
( Mis en ligne le 22/01/2013 )
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