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Histoire & Sciences socialeset Poches  

La Terreur et le désarroi - Staline et son système
de Nicolas Werth
Perrin - Tempus 2007 /  11 €- 72.05  ffr. / 640 pages
ISBN : 2-262-02462-6
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.

La voie soviétique du totalitarisme

Spécialiste français du monde soviétique et de son histoire, Nicolas Werth, directeur de recherches au CNRS (IHTP), publie une somme sur la question de l’Etat stalinien, La Terreur et le désarroi, aux éditions Perrin. Signalons d’emblée que l’ouvrage sort en version de poche, très accessible donc. Avis aux amateurs de la question : le communisme en général, et le stalinisme en particulier, ne sont pas les champs les plus labourés par les historiens français : il faut donc souligner la publication..

Au cœur du concept de totalitarisme, on trouve une forme – ou plutôt des formes – de violence : dans un régime qui se pense en guerre perpétuelle et impose à la population un «état de guerre», la violence, dans ses diverses modalités, devient presque un mode de compréhension de la société (traumatisée) et peut rendre en tous les cas intelligibles des rapports sociaux. Dans l’univers communiste, la violence s’applique à divers niveaux : au sein de l’appareil d’Etat tout d’abord. Il s’agit alors d’une violence légale qui se manifeste non seulement en principe – le principe de l’Etat» formulé dès 1918 - dans la définition même du régime, mais également dans l’usage du procès politique (et en particulier dans la pratique de l’aveu), de la purge ou du système concentrationnaire (le goulag), envers les populations ensuite (via la collectivisation en dépit du décret sur la terre de 1918, et la famine notamment, comme celle, instrumentalisée, de l’Ukraine en 1932-33), en temps de paix (mais la paix existe-t-elle dans un système totalitaire ?) comme en temps de guerre ou de révolution.

Ce sont ces divers champs d’application de la violence totalitaire que N. Werth analyse, afin de définir et nuancer par touches successives et contrepoints le concept de politique de terreur/terroriste. Les changements d’angles, les jeux d’échelles (allant de l’individu, voire de l’inconscient sous forme de rumeur, jusqu’à l’Etat ou les masses) confèrent à l’ouvrage une relative exhaustivité, l’impression que, aux différents moments de la dictature stalinienne, comme à différents niveaux, le schéma interprétatif s’applique. Avec en arrière plan, une eschatologie paienne qui nous rappelle ce que fut l’envers des lendemains qui chantent.

L’ouvrage est présenté, de manière un peu excessive, comme un inédit : en fait, il s’agit d’une compilation d’articles publiés dans diverses revues, colloques, dictionnaires… qui émaillent une carrière scientifique consacrée au phénomène totalitaire, au stalinisme et au monde soviétique en général. Il ne s’agit pas de nouveautés, mais en rassemblant ainsi des articles épars et pas forcément accessibles (ce qui est, en soi, une bonne nouvelle pour les amateurs du sujet), N. Werth leur confère une cohérence de principe qui se révèle dans son introduction. En effet, dans quelques pages de présentation, l’auteur revient sur son parcours et les quelques raisons qui l’ont amené à proposer cet ouvrage. Bien évidemment, Le Livre noir du communisme est au centre du projet : si N. Werth en souligne encore une fois l’ambition et la validité, il insiste également de nouveau sur la distance prise à l’égard de certaines propositions de la fameuse introduction du volume. D’où ce livre de synthèse qui retrace, à la suite du Livre noir, un parcours intellectuel fondé sur plusieurs principes : analyser la dimension totalitaire de l’Etat stalinien, de manière à définir les cadres d’un comparatisme avec l’Etat nazi (comparatisme qui a fait l’objet d’un bel ouvrage aux éditions Complexe), se mettre à l’écoute des populations en vue d’une histoire des «mentalités staliniennes», et enfin revenir sur quelques épisodes précis qui illustrent les méthodes et les moyens d’agir, ainsi que les ambitions du régime.

Tel quel, l’ouvrage se veut une mise au point, un essai de nuance et une prise de position «grand public» sur la question du Livre noir. On peut le lire ainsi, mais il faut déjà y voir une somme de réflexions, ponctuelles, sur un régime politique qui aura marqué au sang l’histoire du XXe siècle. Un ensemble d’éclairages, larges (sur le système stalinien, sur quelques grands épisodes tels que les famines, purges, terreurs diverses et autres procès) et étroit (sur des textes, des lois, des réactions individuelles) forment un tableau impressionniste du stalinisme, analysé comme mode de gouvernement (terroriste) mais également à l’aune d’une culture politique, d’une appréhension du droit dans l’espace totalitaire, d’une anthropologie de la violence… autant de thèmes qui donnent un éclairage indirect au stalinisme, alternative à une réflexion plus classique sur l’Etat en soi.

Un ouvrage non seulement utile, mais également indispensable à la compréhension fine d’un totalitarisme passé, mais dont les partisans demeurent.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 13/02/2007 )
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