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Histoire & Sciences socialeset Poches  

La Santé de Louis XIV - Une biohistoire du roi Soleil
de Stanis Perez
Perrin - Tempus 2010 /  12 €- 78.6  ffr. / 681 pages
ISBN : 978-2-262-03196-1
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en novembre 2007 (Perrin)

L'auteur du compte rendu : Professeur d'Histoire dans le secondaire et chargé de TD à l'Université Paris/Est - Marne-la-Vallée, Fabrice Charton poursuit une thèse sur "l'Académie royale des inscriptions et belles-
lettres sous l'Ancien Régime", sous la direction de Ch. Jouhaud à l'EHESS.


Ce «lointain royaume de chair et de sang» qu’on appelait Louis

«Quoi, Madame, vous vous affligez de me voir en état de bientôt mourir ? N’ai-je pas assez vécu ? M’avez-vous cru immortel ? Non, non, je sais très bien qu’il faut tout quitter.» C’est par ces mots que, sur son lit de mort, Louis XIV se serait adressé à Madame de Maintenon. Nous sommes au mois d’août 1715 et s’achève alors l’un des règnes les plus longs de l’Histoire de France. Le roi, âgé de près de 77 ans, vit ses dernières heures, et probablement jamais autant que dans cette lente agonie, le souverain n’a paru si humain. Si ces paroles de Louis XIV à la Maintenon sont restées célèbres, rares sont les historiens à s’être interrogés sur le roi de chair et de sang qui fit du Soleil son principal attribut. C’est chose faite avec la publication de la thèse de Stanis Perez. Après avoir livré une nouvelle version annotée du Journal de Santé de Louis XIV, puis un recueil commenté des récits relatifs à la mort de souverains de l’époque moderne, Perez offre ici un bel ouvrage qui lève un coin du voile à propos d’un personnage dont on croyait tout savoir.

La Santé de Louis XIV est construite autour de trois axes de réflexion. Tout d’abord, l’auteur présente un tableau très précis des nombreuses pathologies du souverain, de sa naissance à sa mort en passant par ses célèbres fistules. Apparaît sous les yeux du lecteur une sorte de conjoncture pathologique : les grands événements sont les maladies et non plus les batailles ou les actes politiques.

Le roi, personne sacrée, voit graviter autour de sa personne physique tout un essaim de médecins dont les infaillibles remèdes sont censés conserver le plus longtemps possible le corps royal. C’est que les maux du souverain, outre les souffrances qu’ils lui infligent inexorablement, apparaissent comme les déclencheurs d’enjeux qui dépassent de loin le simple corps mortel. Ainsi, à chaque maladie, tout n’est que cabales et complots, à l’intérieur et à l’extérieur du royaume, dans le secret espoir de préparer la succession. Le roi, pour assurer la stabilité du régime et asseoir pleinement son pouvoir, doit souvent mettre son corps à l’œuvre. Dans cette préservation et exposition d’un corps royal sain, les médecins jouent donc un rôle fondamental qui, sous la plume de Perez, devient une sorte d’absolutisme médical. Les médecins sont les artisans de la robustesse du roi ; une robustesse et une vigueur qui se manifestent sur les champs de bataille ou lors des fêtes de Cour, roi de guerre et roi-machine obligent. Le monarque, toujours sous contrôle médical, doit également se gaver, manifester son appétit gargantuesque devant des courtisans médusés qui assistent aux grands soupers. Mais pour que le spectacle dure, les archiatres se font diététiciens en imposant une alternance entre jours gras et jours maigres à leur royal patient. Dans ce chapitre relatif au régime alimentaire du souverain, Stanis Perez s’attaque aux nombreux poncifs qui amènent à reconnaître dans les menus royaux la marque d’une société de Cour aussi opulente qu’indifférente.

Enfin, dans une troisième et dernière partie, l’auteur s’intéresse aux représentations célébrant la santé du roi. Il montre avec finesse comment est fabriquée l’image d’un roi puissant mais absolument humain quand les panégyristes chantent la santé royale. Ne rappellent-ils pas en effet le caractère mortel du souverain ? En la matière, les célébrations autour de la guérison de la fistule de 1686 sont particulièrement parlantes. L’auteur croise ici des sources «officielles» (gazettes, relations de fêtes, gravures, poèmes, médailles, etc.) et d’autres plus officieuses (Journal de Santé, mémoires de grands commensaux). De ce regard croisé surgit la figure du roi incarnation de l’Etat et de l’aristocrate de chair et de sang. Stanis Perez préfère parler de publicité, plutôt que de propagande. Le corps du souverain crée son propre espace public, celui «de la santé du roi». On peut d’ailleurs se demander si cette publicité ne porte pas une atteinte négative à l’image royale dans la mesure où elle révèle les failles d’un corps souffrant. L’auteur montre en tout cas que ce roi fréquemment présenté comme invincible et immortel n’est avant tout, comme bon nombre de patients, qu’une faible créature prisonnière d’une étiquette qui contribue le plus souvent à accentuer ses souffrances.

Dans une conclusion particulièrement stimulante, Stanis Perez nous invite à contempler le panorama sublime et repoussant de ce «lointain royaume de chair et de sang» qu’on appelait Louis. Il ouvre également de nouvelles perspectives vers ce qu’il nomme la «biohistoire», une trajectoire historiographique encore expérimentale mais qu’il s’est déjà plu à suivre dans plusieurs de ses publications. Cette «biohistoire» n’est pas une nouvelle forme de biographie mais plutôt un type de microhistoire axée sur le vivant, le corps et les dispositifs qui les entourent. Une invitation à d’autres voyages, vers d’autres contrées…

Fabrice Charton
( Mis en ligne le 23/03/2010 )
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