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Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Lettres - Edition bilingue français-grec
de Julien
Les Belles Lettres - Classiques en poche 2008 /  9 €- 58.95  ffr. / 250 pages
ISBN : 978-2-251-79998-8
FORMAT : 11cm x 18cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

Apostolaire

L’empereur Julien semble revenir aujourd’hui à la mode. Pas moins de deux biographies sont parues cette année, l’une due à Lucien Jerphagnon (Tallandier), l’autre (une traduction d’un ouvrage dont la première édition américaine remonte déjà à 1978) à Glen W. Bowersock (Armand Colin), sans parler de l’édition de poche du roman de Gore Vidal (Points Seuil). Ce n’est pourtant pas la première fois que le neveu apostat de Constantin fait son entrée dans la collection «Classiques en poche» des éditions des Belles Lettres, qui avaient déjà publié en 2003 le Misopogon, avec une introduction et des notes d’Aude de Saint-Loup. Cette fois-ci, c’est Pierre-Emmanuel Dauzat (par ailleurs traducteur de l’ouvrage de Bowerstock) qui a pris sa suite.

Dans le riche corpus des œuvres de Julien, constitué de traités, de polémiques, de panégyriques, de célébrations de la Mère des Dieux et d’Hélios, ou encore de discours, sa correspondance, qui s’étend de ses années en Gaule en tant que César (355) à la proclamation de Lutèce, puis au séjour à Antioche et à Constantinople, et enfin à la campagne de Perse (363), forme un ensemble exceptionnel, qui a trop souvent été négligé par les divers auteurs s’étant penchés sur la vie de l’empereur. Ceux-ci sont en effet longtemps passés à côté d’une source essentielle de connaissance des ressorts de sa pensée. A cet égard, les lettres de l’empereur, à défaut de son journal intime disparu (le Bibliodon), apparaissent comme un moyen incomparable de retracer son autobiographie. Même si l’on doit parfois faire le tri entre sincérité et mensonge, cette correspondance permet de suivre l’évolution intellectuelle et religieuse de l’empereur, voire même d’examiner les tenants et aboutissants de sa politique à l’égard du christianisme. Souhaitant discréditer le néo-paganisme de l’empereur, les Chrétiens, de Grégoire de Nazianze à Théodore de Mopsueste, en passant par Jean Chrysostome et Cyrille d’Alexandrie, ont entretenu la légende noire de l’Apostat.

Cependant, il faut bien voir que le rétablissement du paganisme opéré par Julien s’est d’abord accompagné de marques de tolérance, sans qu’il faille pour autant tomber dans la légende dorée qui s’est faite jour chez les philosophes des Lumières, mais aussi, de manière un peu plus déroutante, dans la tradition juive. Il convient de garder à l’esprit que, malgré son apostasie revendiquée, Julien était très proche des Chrétiens sur bien des points. Il date sa conversion au paganisme de 351, l’année même où son frère Gallus, demeuré chrétien, est élevé au rang de César pour partager avec Constance les charges de l’empire. Lui-même étudiant à Nicomédie, il découvre le théurge Maxime d’Ephèse, faiseur de miracles qui fait rire une statue d’Hécate et s’enflammer des torches toutes seules. Il dissimule néanmoins ses croyances à sa famille, particulièrement à Constance. Il ne les affirme réellement qu’une fois parvenu au pouvoir suprême, tout en restant marqué par la religion chrétienne. De là vient peut-être que Julien paraisse souvent si chrétien dans son ascétisme ostentatoire et l’étalage de sa vertu. Ainsi, l’imprégnation chrétienne de Julien est bien plus profonde que ne le laisse croire la franchise militante de son apostasie. Il partage aussi avec ses anciens coreligionnaires la même réprobation des jeux du cirque. De même, de nombreux païens ne se reconnaissaient pas dans la pratique religieuse de Julien ; ainsi, son élitisme se mariait mal avec les pratiques populaires, et sa dévotion à Hélios, le dieu Soleil, pouvait le faire passer pour un fanatique.

L’un des grands mérites de la correspondance de Julien est de permettre de suivre à la trace l’évolution de son état d’esprit et de ses sentiments envers les Chrétiens, qui oscillent entre haine, compassion et fascination. On peut dès lors avoir parfois l’impression que Julien est finalement plus profond dans son imitation du christianisme que dans sa critique. Pour expliquer les ressorts du succès des Chrétiens, il souligne leurs implications humanitaires et sociales. Sur le tard, cependant, l’aigreur de Julien vis-à-vis du christianisme s’amplifia. Il décide ainsi d’écarter les Chrétiens des hautes fonctions administratives et judiciaires, et récupère des biens donnés à l’Eglise. Revendiquant pour les païens le monopole de l’hellénisme, il interdit aux chrétiens d’enseigner.

Néanmoins, sa fiscalité fut moins ostensiblement antichrétienne qu’on ne l’a dit. Dès lors, le règne de Julien apparaît certes comme une réaction, mais, plutôt qu’une parenthèse, une étape dans la définition de nouveaux rapports entre l’Eglise et l’Etat. Il manifeste également une certaine sympathie pour les Juifs, faisant par exemple preuve du désir de reconstruire le temple de Jérusalem. Mais cette sympathie était surtout acquise par défaut, car les Chrétiens, à ses yeux, avaient trahi l’hellénisme après avoir trahi le judaïsme. De plus, leur allégeance pouvait se révéler précieuse en Mésopotamie lors de la campagne contre les Perses.

Les Lettres de Julien apparaissent ainsi comme une source de premier plan pour l’histoire de l’Antiquité tardive, afin notamment de comprendre les mutations culturelles et religieuses au sein de l’empire Romain. Cette édition, d’un coût modique, comprend également une chronologie et une utile bibliographie, qui permettra à celui qui le souhaite d’en savoir plus sur un personnage aussi fascinant que l’Hadrien immortalisé par Marguerite Yourcenar.

Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 09/12/2008 )
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