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Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Les Grecs et la mer
de Jean-Nicolas Corvisier
Les Belles Lettres - Realia 2008 /  23 €- 150.65  ffr. / 427 pages
ISBN : 978-2-251-33828-6
FORMAT : 14cm x 22,5cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

Thalassa ! Thalassa !

Après avoir publié une biographie de Philippe II de Macédoine chez Fayard (2002) et écrit différentes études de démographie historique antique, Jean-Nicolas Corvisier, professeur à l’Université d’Artois où il dirige le CRUSUDMA (Cercle de recherches urbanisation, sociétés urbaines et démographies dans les mondes anciens), nous offre une synthèse sur la relation des Grecs à l’élément marin. Quand on évoque les anciens Hellènes, on pense très souvent à des paysages méditerranéens où la Grande Bleue est omniprésente (aucun territoire grec n’est éloigné de la mer de plus de 100 km). Cette relation privilégiée est cependant multiple et prend plusieurs formes. Elle est également pour le moins ambivalente, dans la mesure où l’univers marin est un milieu inhospitalier.

Le premier chapitre s’intéresse aux origines créto-mycéniennes du rapport des Grecs à la mer. Selon Thucydide, le roi Minos de Crète fut le premier à développer une véritable thalassocratie. La culture matérielle minoenne rend compte en tout état de cause d’une familiarité avec l’univers marin (bijoux confectionnés dans des coquillages, décors marins des vases et des fresques…). Le second chapitre traite des navigations homériques. Les premiers poèmes conservés de la littérature grecque manifestent une connaissance certaine de la mer, à tel point que plusieurs savants (Victor Bérard, Tim Séverin ou, plus récemment, Jean Cuisenier), considérant ces œuvres comme de véritables manuels de navigation, ont pensé pouvoir identifier les différentes étapes du voyage d’Ulysse. Dans le troisième chapitre est abordé le phénomène de la colonisation archaïque, allant de pair avec les explorations maritimes qui contribuent au développement des connaissances sur ce milieu si particulier (techniques de navigation, faune, flore, connaissances sur les courants ou les fonds marins…), mais aussi la représentation de la mer chez les poètes et les prosateurs.

Le quatrième chapitre offre un regard sur la mer dans l’histoire. Thucydide avait déjà entendu prouver dans son récit que c’était la maîtrise de la mer qui avait procuré à la Grèce – et plus particulièrement à Athènes – sa puissance et son haut niveau de civilisation. Jean-Nicolas Corvisier reprend cette idée en analysant la naissance d’une marine de guerre à l’époque archaïque, les liens entre thalassocratie et impérialisme (notamment dans l’Athènes de Thémistocle puis de Périclès), les différents types de bateaux (dont la célèbre trière), la guerre navale classique et les aspects logistiques (ports et arsenaux) ou financiers. Il s’intéresse également à la période hellénistique qui a vu se développer de nouvelles thalassocraties (Rhodes, mais aussi les royaumes lagide et antigonide, sans parler des États fédéraux achéen et étolien, voire des cités crétoises), une véritable course au gigantisme dans les différents types de navires, ainsi que des évolutions tactiques et stratégiques (attaques de ports par des tours mobiles, utilisation de grappins géants lors du siège de Syracuse par les Romains…).

Les ressources halieutiques et la vie quotidienne des pêcheurs sont abordées dans le cinquième chapitre. L’œuvre d’Aristote nous offre ainsi une description très précise de la vie et des mœurs des poissons. Jean-Nicolas Corvisier s’attache à décrire également les lieux et techniques de pêche, sans oublier certaines pêches particulières (mollusques, crustacés, éponges ou murex dont on tire la pourpre…). La conservation des produits de la mer (par salage, séchage et fumage, ou même immersion dans le vinaigre) n’est pas oubliée, non plus que la commercialisation du poisson ou l’usage médical des produits de la mer. La navigation commerciale fait l’objet, quant à elle, du sixième chapitre, l’auteur analysant tour à tour le rôle des nauclères (propriétaires de navires), celui des équipages, mais également l’action et le contrôle des Cités sur leurs activités. Sont également décrits les parcours de commerçants, les routes commerciales, les grands ports, les différents types de contrats ou encore les produits concernés par le commerce maritime.

Le septième chapitre cherche à répondre à la question de savoir s’il existait des gens de mer dans le monde grec ancien (pêcheurs, marins, mais aussi pirates). Il s’intéresse également à la question religieuse, à travers, notamment, l’étude des superstitions des marins, les cultes qu’ils privilégient et les différents actes rituels accomplis avant le départ, en mer, ou une fois arrivé à bon port. L’étude de la religion nous mène tout naturellement au huitième et dernier chapitre, consacré à l’imaginaire de la mer en Grèce. L’espace marin, tantôt bénéfique, tantôt maléfique, se caractérise surtout par une altérité radicale. L’espace sous-marin et l’espace extra-méditerranéen sont encore plus mal connus, mais donnent lieu à des représentations ambiguës dont le mythe de l’Atlantide, raconté par Platon, fournit un exemple éclatant.

Cet ouvrage riche et varié fournit une première approche fort intéressante de la question de l’espace marin dans le monde grec antique. Il ouvre des pistes vers des recherches prometteuses, notamment sur la question de l’imaginaire marin ou, pour ne prendre qu’un seul exemple, sur la question de la maritimité de certaines divinités du panthéon. Trois index (des noms propres, géographique et analytique) permettent de retrouver facilement les différents thèmes abordés, tandis que deux cartes (la Méditerranée grecque et le monde grec égéen) permettent de resituer le contexte de l’étude. Une courte bibliographie de trois pages permettra à celui qui le désire d’approfondir tel ou tel aspect de la relation des anciens Grecs avec ce monde marin à la fois fascinant et dangereux.

Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 04/02/2009 )
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