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Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Athéna et la grande déesse indienne
de Bernard Sergent
Les Belles Lettres - Vérité des mythes 2008 /  27 €- 176.85  ffr. / 395 pages
ISBN : 978-2-251-32443-2
FORMAT : 15cm x 21,5cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

Trifonctionnalité au féminin

Bernard Sergent, chercheur au CNRS, est l’auteur de nombreux ouvrages sur la question indo-européenne et s’est intéressé autant à l’Inde (Genèse de l’Inde, Payot, 1997) qu’à la Grèce ancienne (L’Atlantide et la mythologie grecque, L’Harmattan, 2006). Dans Le Livre des dieux (Payot, 2004), il s’intéressait plus particulièrement aux ressemblances entre figures divines grecques et celtes, consacrant un chapitre à Athéna et la Bodb (déesse guerrière dans l’ancienne mythologie irlandaise, qui portait aussi les noms de Macha, Morrigan, Andarta ou Cathubodua). Selon lui, ces deux divinités prolongeaient en fait un même type divin hérité des Indo-Européens. Il poursuit maintenant l’enquête dans le monde indien. En effet, Athéna lui semble présenter non moins de points communs avec la Grande Déesse qui apparaît sous de multiples noms, les principaux étant ceux de Devî (la Déesse par excellence), Durga, Kalî, Parvati, Candikâ, Mahâmâyâ, Ambikâ ou Umâ. On discerne ainsi clairement, selon l’auteur, une grande déesse indo-européenne (la comparaison comprenant un terme celtique, un terme grec et un terme indien) aux caractéristiques guerrières indéniables, même si elle participe aussi des deux autres fonctions (souveraine et productrice) du schéma trifonctionnel mis en évidence par Georges Dumézil.

D’après Bernard Sergent, c’est avec Athéna, plus qu’avec toute autre déesse grecque, que la déesse indienne présente le plus de points communs. Il décline donc divers caractères communs entre ces deux figures, dont certains sont tout de même très généraux («ambivalence de la déesse», «la beauté de la déesse», «Athéna et Devî sont des jeunes femmes», «Athéna et Durgâ sont au centre et en périphérie»…). Pour les aspects et attributs communs qu’il étudie ensuite, on pourrait apporter de sérieuses nuances à l’analyse. En effet, si Athéna et Durgâ encouragent la végétation et ont un arbre privilégié, il ne s’agit pas du même (généralement l’olivier dans le premier cas ; le roncier, l’oranger et le margousier dans le second), et les symbolismes véhiculés ne sont pas forcément identiques. Athéna n’est peut-être pas aussi étroitement liée à la décapitation que Durgâ ou d’autres déesses (comme Chinnamasta) ; dans le mythe, ce n’est généralement pas elle qui décapite Méduse, même si elle porte la tête de la Gorgone sur sa tenue guerrière. L’analyse des mythes communs n’est pas non plus toujours entièrement convaincante. Le lien d’Athéna avec le sang et la couleur rouge n’est pas forcément aussi évident que pour Kalî ou Devî. Il en va de même pour la partie consacrée aux relations avec les animaux. Si la déesse indienne est liée aux félins (le tigre ou le lion) ou aux abeilles, c’est beaucoup moins évident pour Athéna, et les indices iconographiques donnés par l’auteur se révèlent en fait bien minces. L’étude des rites parallèles est plus intéressante, notamment tout ce qui concerne la description des fêtes (et particulièrement l’analyse comparée des Panathénées athéniennes et des Navarâtra ou Durâsûja indiennes).

La documentation présentée et les informations données sont très riches, en ce qui concerne la déesse indienne, mais aussi Athéna, même si l’auteur précise que les sources grecques sont finalement moins nombreuses. On ne peut néanmoins s’empêcher de se demander si la comparaison est vraiment opérante. D’un côté, on a l’une des déesses les plus importantes du panthéon grec, divinité poliade et éponyme d’Athènes, cité qui a dominé le monde égéen pendant une grande partie de la période classique. De l’autre, on nous présente une grande déesse aux multiples visages, depuis l’époque védique jusqu’à l’Inde contemporaine, en passant par l’hindouisme. Cette déesse – si tant est que nous puissions ainsi synthétiser en une seule puissance toutes ces figures divines (ce syncrétisme est peut-être l’objet de spéculations philosophiques tardives ?) – dispose ainsi de caractéristiques très variées. Il est donc assez logique qu’elle en partage un nombre important avec une divinité aussi majeure qu’Athéna.

Il faudrait en fait s’essayer au même jeu comparatiste avec d’autres déesses du panthéon grec, comme la souveraine Héra, la vierge Artémis ou la séduisante Aphrodite, sans parler de la terrienne Déméter. Une analyse approfondie en termes de modes d’action pourrait se révéler fructueuse, et permettrait d’aller au-delà du constat de certaines ressemblances. C’est peut-être finalement plutôt les différences qu’il conviendrait surtout d’interroger. Nul doute qu’elles soient riches d’enseignement pour l’étude des deux polythéismes, le grec et l’indien, quelles que soient les origines indo-européennes communes.

Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 17/02/2009 )
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