L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Mâle mort - Morts violentes dans l'Antiquité
de Philippe Charlier
Fayard 2009 /  23 €- 150.65  ffr. / 431 pages
ISBN : 978-2-213-63564-4
FORMAT : 15,3cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions d’histoire des religions et d’histoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages d’initiation portant notamment sur le Moyen Age et sur l’histoire de l’art, et, plus récemment, une biographie de Robert d'Arbrissel.

Ces Anciens qui moururent avant l’âge

Quand un historien des maladies, médecin légiste et spécialiste des paléopathologies s’intéresse aux morts de l’Antiquité, il en résulte un dossier d’une grande richesse de documentation et d’une rare précision. Celui que Ph. Charlier a rassemblé concerne toutes les sortes possibles de trépassés ayant pour point commun de n’être pas morts «de leur belle mort», quelle que soit la cause de ce décès considéré comme prématuré.

L’auteur le souligne : de façon générale ‑ sources littéraires et archéologiques en témoignent ‑ on ne mourait pas moins vieux dans l’Antiquité que de nos jours. Mais les éléments du dossier qu’il propose sur les morts prématurées montrent que les causes de ces décès peuvent avoir une origine spécifique à l’époque étudiée. D’évidence, femmes victimes de couches difficiles, pendus, noyés et autres malchanceux tombés d’une falaise, relèvent d’accidents habituels de la vie ; par contre flagellés, crucifiés, livrés aux bêtes, nous semblent appartenir à un autre âge. Mais c’est selon une autre logique, celle des circonstances, impliquant une analyse plus fine, qu’est présentée la documentation explorée par cet ouvrage : les morts volontairement données (depuis les soldats morts au combat jusqu’aux exécutions de gladiateurs) ; les suicides ; les diverses modalités de la peine de mort ; les cas de sacrifices offerts aux divinités ; les épidémies et autres catastrophes naturelles ; les accidents, domestiques ou collectifs. La chronologie couvre l’Antiquité au sens classique du terme, et le cadre, à la fois géographique et culturel, concerne essentiellement les civilisations grecque et romaine ; une documentation cohérente.

Tous les éléments du dossier sont individualisés avec la plus grande précision, qu’il s’agisse de cas universellement connus et n’appelant pas de longs développements – ainsi l’éruption du Vésuve en 79 de notre ère – ou de cas isolés, révélés au hasard heureux de fouilles systématiques ou de découvertes fortuites. La méthode s’établit sur une double confrontation : l’examen anatomopathologique des restes humains mis en regard de textes (littéraires et/ou épigraphiques), amplement cités, éclairant l’échantillon concerné d’individus ou de morts. La recherche est menée avec une grande honnêteté intellectuelle. Citons-en divers cas de natures différentes. On n’a certes pas retrouvé le corps de Socrate, mais Ph. Charlier analyse médicalement le processus de sa mort par empoisonnement par la cigüe, à laquelle, compte tenu des symptômes décrits par Platon, pourraient bien avoir été mêlées d’autres substances. Par ailleurs quinze cas d’enfermement de vestales vivantes dans leur tombeau sont historiquement attestés ; mais il faut bien convenir que malgré la précision des textes, on n’en a retrouvé aucune trace archéologique. Autre interrogation : des squelettes révèlent une décapitation : cause directe du décès ? ou mutilation post mortem ? L’insuffisance des données conduit parfois à poser des questions plus qu’à résoudre des problèmes. L’auteur constate lui-même les limites de l’enquête.

Certaines constatations objectives du clinicien amènent à relativiser des idées bien reçues. Ainsi l’historien lucide est conduit à constater, face à la fréquente «fantaisie» qui entoure les récits de martyres chrétiens, qu’il y a bien peu de squelettes dont l’examen permet de confirmer les sources textuelles. Quant à l’authenticité des reliques… De même convient-il de tordre le cou à des réputations telle que celle attribuée à Carthage des sacrifices rituels et systématiques des enfants. Et l’investigation des sépultures oblige à réviser des données qu’on tenait pour assurées : par exemple, l’examen des restes humains a conduit à renoncer à identifier la tombe collective trouvée sur le site de la bataille de Canne (216 avant notre ère) avec celle de combattants tués au cours de l’affrontement.

Le livre de Ph. Charlier, abondamment illustré, s’enrichit de nombreux relevés, croquis, attestations iconographiques. Si la qualité des reproductions photographiques n’est pas excellente, l’ensemble contribue à présenter l’intégralité des dossiers. On aurait toutefois apprécié qu’une échelle permette d’estimer les dimensions, pas toujours évidentes, des objets représentés.

Aucune morbidité dans ce dossier purement scientifique. Au passage, que de notations rappelant des traits de civilisation, religieux, sociologiques, politiques, élargissant parfois le propos à un véritable exposé des mentalités antiques concernant la mort ! La belle étude de Ph. Charlier intéresse le médecin tout autant que l’historien. Ni l’un ni l’autre ne disposaient d’un tel dossier, travail pionnier qu’illustre la nature de l’abondante bibliographie : elle propose un éventail de références issues de revues ou de publications étrangères à la spécificité de chacun des chercheurs (ou des curieux) concernés par le sujet.

Jacqueline Martin-Bagnaudez
( Mis en ligne le 20/04/2010 )
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