L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Le Mythe d’Hélène
de Maurizio Bettini et Carlo Brillante
Belin 2010 /  15 €- 98.25  ffr. / 278 pages
ISBN : 978-2-7011-4993-6
FORMAT : 15cm x 21,5cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

La belle Hellène

Carlo Brillante nous offre une étude sur le mythe de la belle Hélène, précédée d’une nouvelle de Maurizio Bettini mettant en scène le poète Stésichore, auteur de deux palinodies sur l’héroïne, qu’il a écrites après avoir été aveuglé, selon la tradition, pour avoir mal parlé d’Hélène dans ses précédents poèmes. C’est à lui que l’on doit la tradition, évoquée par Hérodote et reprise par Euripide, selon laquelle Hélène ne se serait jamais rendue à Troie mais aurait séjourné en Egypte, avant de retrouver son époux Ménélas après la prise de la ville de Priam.

La première partie s’intéresse à la jeune fille de Sparte, dont certains savants ont fait une ancienne divinité de l’arbre, en raison des témoignages la rattachant à un platane à Sparte, ou à une pendaison à un arbre dans l’île de Rhodes. Carlo Brillante souligne plus justement son lien avec les initiations féminines en Laconie, dont témoigne peut-être l’Epithalame d’Hélène de Théocrite, ayant pour protagonistes douze jeunes filles entonnant un chant devant la chambre nuptiale à l’occasion des noces d’Hélène et de Ménélas. Hélène recevait en effet un culte à Sparte ; on lui attribuait même le miracle d’avoir rendu belle une petite fille laide, qui devient par la suite l’épouse du roi Ariston. Athènes et Argos conservaient aussi des traditions sur le passage de l’héroïne dans leur cité, à l’occasion de son enlèvement par Thésée, alors qu’elle n’était encore qu’une enfant. Elle en aurait eu Iphigénie, confiée à la garde de sa sœur Clytemnestre.

La deuxième partie traite de la naissance de l’héroïne, fille de Zeus et de Léda, l’épouse du roi de Sparte Tyndare. Elle est la sœur des Dioscures, Castor et Pollux, nés comme elle d’un œuf, rappelant la métamorphose de Zeus en cygne pour séduire leur mère. Selon certaines versions, elle serait née bien après ses frères, qui appartiennent plutôt à la génération antérieure à la guerre de Troie, celle des héros Héraclès, Thésée ou Jason qu’ils accompagnèrent d’ailleurs dans sa quête de la toison d’or. Selon une tradition, elle n’était pas la fille de Léda, mais celle de la déesse Némésis, qui s’était métamorphosée en oie pour échapper à l’étreinte de Zeus qui était néanmoins parvenu à ses fins sous la forme d’un cygne. Némésis aurait ensuite pondu un œuf qui aurait été confié à Léda qui éleva ainsi l’enfant comme sa fille. Dans l’épopée perdue des Chants Cypriens – qui racontait les épisodes antérieurs à l’Iliade –, la naissance de l’héroïne était peut-être liée à l’intention de Zeus de déclencher la guerre de Troie dans le but d’alléger la terre alourdie par un trop grand nombre d’hommes.

La troisième partie, «L’épouse infidèle», a pour objet la figure d’Hélène dans les poèmes homériques. Même si son enlèvement par le prince troyen Pâris apparaît comme la cause de la guerre de Troie, elle n’occupe pas une place prépondérante dans l’Iliade. Elle n’apparaît que dans quelques épisodes, comme à l’occasion du duel entre Pâris et Ménélas, après lequel elle est contrainte par la déesse Aphrodite à accueillir dans ses appartements son époux troyen sauvé par la divinité, ou lors de sa rencontre avec Hector après la reprise des combats. Après la mort de son beau-frère, elle évoque avec des mots émus l’homme qui l’avait toujours traitée avec douceur, même lorsqu’elle était blâmée par les Troyens. Dans l’Odyssée, Télémaque rencontre Hélène lorsqu’il rend visite à Ménélas afin de lui demander des nouvelles de son père. L’héroïne est redevenue à Sparte l’épouse du frère d’Agamemnon. En l’honneur de leur jeune hôte, les deux époux racontent tous deux un épisode de la guerre de Troie dont Ulysse est le protagoniste. Hélène rappelle qu’elle l’a aidé lors d’une expédition secrète pour laquelle il s’était déguisé en mendiant afin de pénétrer dans la ville ennemie. Ménélas rappelle au contraire la duplicité de son épouse imitant la voix des épouses des héros grecs en faisant le tour du cheval de bois dans lequel ils s’étaient cachés. Dans les autres poèmes du cycle épique, il semble que la figure d’Hélène avait une importance plus grande que dans les poèmes homériques, mais on n’en a conservé que des bribes et de rapides résumés.

Le titre de la quatrième partie, «L’adultère», est quasiment identique à celui de la troisième, mais porte sur d’autres sources, à savoir la poésie lyrique (Alcée, Ibycos, Alcman Pindare ou Sappho), les tragiques (Eschyle, Sophocle et Euripide) ou Gorgias et Isocrate qui ont tous deux écrit un Éloge d’Hélène. Le mythe d’Hélène n’y est pas fondamentalement différent des poèmes épiques. Il en va tout autrement des textes étudiés dans la cinquième partie, «L’image». L’accent est mis ici sur la version qui veut qu’Hélène ne soit pas partie à Troie, mais qu’un simulacre, une image (eidolon) ait pris sa place auprès de Pâris, tandis que la véritable Hélène aurait attendu en Egypte que Ménélas vienne la récupérer après la prise de Troie. Cette version développée dans les deux palinodies de Stésichore a été reprise par Euripide dans sa tragédie Hélène, qui imagine des difficultés aux retrouvailles des deux époux, dans la mesure où Théoclymène, le fils et successeur du roi d’Egypte Protée qui avait la garde de l’héroïne, est en fait amoureux d’elle est souhaite l’épouser. La sixième partie, «Démon ou déesse», traite de la figure d’Hélène chez les auteurs latins, particulièrement Virgile qui dresse d’elle un portrait très négatif dans l’Enéide, et Sénèque dans les Troyennes, mais aussi de l’interprétation pythagoricienne qui souligne le lien d’Hélène avec la Lune tout en donnant une signification allégorique de son mythe. Le gnosticisme reprend le personnage, faisant d’elle la première pensée du dieu suprême, égarée dans le monde matériel jusqu’à prendre la forme d’une prostituée de Tyr, avant d’être retrouvée par Simon le Magicien qui se présente lui-même comme l’incarnation terrestre du dieu suprême. Enfermée dans un corps humain, elle avait dû transmigrer sans cesse d’un corps féminin à un autre, s’incarnant notamment dans le personnage pour lequel on combattit à Troie.

Une première annexe dresse un panorama rapide de la fortune du mythe d’Hélène à la fin de l’Antiquité, au Moyen Âge (particulièrement dans le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure), dans l’Orient byzantin, à la Renaissance et aux époques moderne et contemporaine. Une deuxième annexe commente un cahier iconographique illustrant la fortune du mythe dans les arts figurés de l’Antiquité au XXe siècle, tandis qu’une troisième offre une bibliographie commentée. Le tout forme une somme intéressante et complète sur le mythe de la plus belle femme du monde, qui a conduit à la ruine d’une opulente cité et de toute une génération de héros, marquant même pour les Grecs la fin des temps héroïques.

Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 15/02/2011 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)