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La Réaction païenne - Etude sur la polémique antichrétienne du Ier au VIe siècle
de Pierre de Labriolle
Cerf - Patrimoines Christianisme 2005 /  38 €- 248.9  ffr. / 519 pages
ISBN : 2-204-07607-4
FORMAT : 12,5cm x 19,5cm

L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé d’histoire ; il est actuellement allocataire-moniteur à l’Université de Nice Sophia-Antipolis, où il prépare une thèse en histoire médiévale.

La résistance du paganisme

C’est une belle idée que la réédition de cet ouvrage dont la première parution remonte à 1934 ! Pierre de Labriolle, philologue et historien mort en 1940, y propose une synthèse sur la réaction et la réponse des lettrés païens face au christianisme, des origines au VIe siècle.

Naturellement, les recherches conduites depuis soixante ans ont largement renouvelé l’approche de tel ou tel auteur. Naturellement l’écriture de l’histoire a changé depuis l’entre-deux-guerres, et donne à cet ouvrage un charme quelque peu suranné, à l’image de ce portrait de Fronton (IIe siècle) : «Fronton était un fort brave homme, d’une vanité candide, un peu gâté par les adulations qui lui étaient prodiguées et l’influence dont il disposait, mais d’une honnêteté personnelle, d’une sincérité non douteuse» (p.88). Et plus loin : «on y voit aussi à plein la médiocrité intellectuelle du bon Fronton. Il est le type même, l’incarnation du rhéteur» etc. L’ouvrage est rythmé par ces jugements, sur la personnalité, le style, ou l’intelligence, d’un auteur ou d’une période.

Mais il ne faudrait pas négliger les qualités de cette historiographie. La vivacité et l’élégance du style rendent la lecture agréable. La clarté du récit historique facilite aussi l’abord d’une telle œuvre. Le plan est en effet limpide : au premier siècle, le christianisme est totalement ignoré ou très méconnu des lettrés païens, qui ne s’en préoccupent guère (1ère partie, chap. 1) ; au cours du second siècle le développement de cette religion se traduit par quelques mentions dans des œuvres latines ou grecques, qui témoignent toutefois d’une grande ignorance (chap. 2).

La première rupture est produite par la critique de Celse dans la seconde moitié du IIe siècle. Pour la première fois, un ouvrage est entièrement consacré à la critique des Écritures et des dogmes chrétiens et témoigne d’un effort pour connaître cette religion (2ème partie, chap. 1). Globalement, à la fin du IIe siècle et dans la première moitié du IIIe, la «réaction païenne» suit des voies diverses : tantôt la recherche d’une réforme interne illustrée notamment par la Vie d’Apollonius de Philostrate (chap. 2), tantôt la dérision et la calomnie (chap. 3), tantôt la discussion scientifique des faits bibliques (chap. 4).

Le traité de Porphyre contre les chrétiens, rédigé dans les années 260-270, marquerait une nouvelle rupture. Sa connaissance des Écritures chrétiennes est bien meilleure que celle de Celse, sa formation de néoplatonicien, disciple de Plotin, est grande, et surtout il se situe dans un cadre plus strictement philosophique que ne le faisait Celse ; Porphyre ne se soucie pas de la défense de l’Empire Romain mais de la civilisation, face à cette invasion d’illogismes et de tromperies que représente le christianisme (3ème partie, chap. 1). Cette voie semble avoir été suivie par Cornelius Labeo (Chap. 2). Finalement, toutes ces dénonciations du christianisme aboutissent aux persécutions de Dioclétien (édits de 303), qu’accompagnent de nouveaux traités anti-chrétiens, eux-mêmes inspirés par Celse et Porphyre (chap. 3).

La quatrième partie, qui porte sur le IVe siècle, a pour but de montrer la persistance et la force des idées païennes, notamment dans l’élite lettrée (chap. 1). Le règne de Julien (361-363) témoigne de la vigueur de ces idées, qu’il impose par les actes et défend par le discours, soutenu par de nombreux émules comme Libanius ou Ammien Marcellin (chap. 2). Enfin, les écrits même d’Augustin, par les objections auxquelles il doit répondre, prouvent que les idées chrétiennes ne l’ont pas définitivement emporté (Chap. 3). C’est aux Ve-VIe siècles que le paganisme est définitivement vaincu, notamment par la fermeture de l’école d’Athènes par Justinien en 529 (5ème partie).

Un tel récit pourra apparaître trop simple, trop téléologique. Probablement mériterait-il d’être nuancé dans le détail. Mais cette simplicité présente le mérite d’apporter au lecteur des repères clairs qui eux-mêmes permettent de pénétrer dans des interprétations historiques plus fines ou plus complexes. Il constitue en cela une bonne introduction.

De plus, ce récit est intégralement fondé sur les sources littéraires de l’antiquité, auxquelles il permet d’accéder directement. En effet l’ouvrage apparaît presque comme une vaste anthologie de textes traduits et commentés, tant les citations sont nombreuses et longues. L’auteur en fait d’ailleurs une question de méthode : «Voilà des affirmations surprenantes. Examinons les textes, ou mieux encore traduisons-les : c’est la vraie méthode» (p.233). Belle affirmation positiviste qui permet au moins au lecteur contemporain d’accéder dans une belle traduction à des textes peu connus et de juger par lui-même des interprétations.

Malheureusement, outre le charme d’une telle lecture, outre l’intérêt de ce cadre chronologique, la synthèse de Pierre de Labriolle constituerait une excellente introduction au sujet si seulement elle était accompagnée d’un texte consistant qui en propose une actualisation historique, indiquant les analyses les plus contestables ou dépassées aujourd’hui. Certes «les lecteurs informés rajeuniront aisément, à l’occasion, les références aux études que l’érudition contemporaines a multipliées» (Préface, p. II), mais l’intérêt de cet ouvrage était justement d’être accessible au lecteur non informé. Sa réédition, dont l’intention n’est pas seulement rétrospective, aurait mérité au moins l’adjonction d’éléments bibliographiques qui auraient permis au lecteur profane mais curieux, de creuser les pistes qu’ouvre cet ouvrage introductif.

Emmanuel Bain
( Mis en ligne le 31/10/2005 )
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