L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Religion, institutions et société de la Rome antique
de John Scheid
Fayard - Leçons inaugurales du Collège de France 2003 /  8 €- 52.4  ffr. / 60 pages
ISBN : 2-213-61715-5
FORMAT : 12x19 cm

L'auteur du compte rendu: Michel Blonski, agrégé d'Histoire, travaille en DEA sous la direction du professeur François Hinard, à l'université de Paris IV, sur les problèmes du rapport au corps dans la civilisation romaine.

Un grand historien de Rome

L’élection de J. Scheid au Collège de France a porté à cette vénérable institution celui que les étudiants en histoire ancienne connaissent comme le grand spécialiste de la religion romaine, et l’un des plus célèbres historiens de Rome en général. Sa leçon inaugurale, donnée le 7 février 2002, et publiée récemment, permet à tous de mieux saisir les implications de la discipline, et de trouver, en un texte court et fertile, d’importants éléments de réflexion, accessibles tant à l’étudiant qu’à l’honnête homme soucieux de comprendre les sociétés anciennes. Ce petit livre introduit à une présentation générale des perspectives de l’historien, ainsi qu’à un résumé de l’esprit de ses travaux et des conclusions qu’il en a tirées.

J. Scheid rappelle ainsi les nécessités qui s’imposent à tout historien de l’Antiquité : d’abord l’érudition – connaissance précise des matériaux sur lesquels on va travailler – et la conceptualisation – capacité à se donner les outils permettant de poser les justes questionnements, qui seuls permettent une bonne interprétation. L’auteur démonte, consécutivement, le piège consistant à étudier les civilisations antiques avec «une tête formée, ou déformée, par quinze ou seize siècles de christianisme», source de graves contresens. Il est essentiel de ne pas partir des conceptions religieuses chrétiennes, ancrées dans notre culture, et qui nous paraissent donc «naturelles», pour travailler ce sujet. Or cela a trop souvent été le cas : dans ce cadre, l’utilisation des sources antiques, sans cesse renouvelée par l’apport bien compris d’autres disciplines (l’archéologie ou l’anthropologie par exemple), trouve une justification nécessaire ; ainsi, quoiqu’une idée reçue fasse de l’ensemble de ces sources une totalité close et intégralement connue, il est sans arrêt possible de les remobiliser.

Le monde de la religion à Rome doit donc – et c’est dans cet esprit que va s’articuler l’enseignement de l’auteur – être étudié dans un cadre ouvert à des questionnements délivrés de tout préjugé et concept trop personnel. En considérant, après mûr examen, la religion romaine comme un ensemble de pratiques et de ritualismes (ce qui ne signifie pas qu’elle ne soit pas «sincère» - ce mot n’ayant pas de sens ici), comme une tradition délivrée des grandes spéculations métaphysiques, repoussées ailleurs, on en viendra à tirer des perspectives enrichissantes. Impossible de parler de «dogmes» religieux : ce qui tient lieu d’élément stable, c’est le rituel ; ce qui est variable, c’est son interprétation, que les Anciens ont été les premiers à développer dans de nombreuses directions ; c’est aussi sa distribution dans le corps social et civique, et les éventuels enjeux de décision et de pouvoir qui se font autour de lui. Donc, en se demandant si des rites suscitent ou non, dans leurs interprétations, tel ou tel raisonnement religieux, on est amené à reconstituer la façon dont les Romains conçoivent et vivent leur monde. Quelle est l’articulation entre la distribution de ces rites dans la communauté et la réalité sociale ? Comment la décision religieuse est-elle prise ? Quels mécanismes permettent au détenteur du pouvoir, en particulier avec l’avènement de l’Empire, de contrôler – ou non – le sens religieux ? Quelle est l’interaction entre l’évolution des pratiques politiques et celle des pratiques religieuses, à Rome, mais aussi dans les cités italiennes et les autres ? Autant d’interrogations que permet l’étude de la religion romaine, et que l’auteur prolongera dans le cadre du Collège de France.

La leçon inaugurale de J. Scheid nous permet donc de profiter d’un petit livre clair, stimulant, situant d’un trait rapide et sûr les enjeux de la discipline, définissant son contenu d’une manière brillante et limpide. Voilà certainement un exemple de cette conjugaison d’audace et de prudence, d’érudition et d’innovation, qui rend la pratique de l’Histoire si enthousiasmante.

Michel Blonski
( Mis en ligne le 26/03/2004 )
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