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Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Les Peuples gaulois - IIIe-Ier siècles av. J.-C.
de Stephan Fichtl
Errance - Collection des Hespérides 2004 /  22 €- 144.1  ffr. / 179 pages
ISBN : 2-87772-290-2
FORMAT : 18x25 cm

L’auteur du compte rendu : autodidacte formé à la préhistoire, notamment le Néolithique du sud-est de la France, Yvon Luneau a travaillé sur plusieurs chantiers archéologiques dans la Drôme et l’Ardèche avec Marie Hélène Moncel, de l’Institut de Paléontologie Humaine de Paris. Il poursuit actuellement une campagne de prospection de surface sur la Valdaine (26), en relation avec le Centre d’Archéologie Préhistorique de Valence, M. Beeching, archélogue (CNRS) et M. Brochier, archéo-géologue.

La structuration territoriale de la Gaule avant la conquête romaine

Contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre de cet ouvrage, le lecteur ne trouvera pas d’informations générales sur le mode de vie des Gaulois avant l’arrivée des Romains. Il s’agit d’un bilan et d’une analyse des connaissances concernant l’organisation territoriale de la Gaule. Une des idées reçues est qu’il s’agissait d’une zone floue, peu structurée, peuplée de «barbares». Or, à l’arrivée de Jules César, les peuples y sont organisés en civitates.

Auteur de deux ouvrages, Les Gaulois du Nord de la Gaule et La Ville celtique, Stephan Fichtl est un spécialiste des peuples celtes occupant la Gaule à la période de La Téne, la fin de l’Âge du fer. Il dispose de trois types de sources : documents écrits, analyse géographique et découvertes archéologiques, qu’il croise, pour répondre aux questions suivantes : Comment les différentes entités ethniques occupant la Gaule se partageaient-elles le territoire ? Comment se matérialisaient les frontières ? Comment un territoire était-il structuré stratégiquement, économiquement et politiquement ? Quels types de rapports avaient les différents territoires entre eux ? L’auteur centre son bilan sur la Gaule et la Gaule Belgique, ne prenant en compte ni l’Aquitaine, pour laquelle nous avons peu d’informations, ni la Narbonnaise, déjà conquise.

Pour permettre au lecteur de suivre son analyse, l’auteur commence d’abord par une explication des termes utilisés. Les choix des mots reposent sur leurs occurrences dans les sources écrites, à savoir Pline l’Ancien, Caton l’Ancien et surtout le De Bello Gallico de Jules César. Cette chronique de la conquête de la Gaule est la meilleure source dont on dispose et, bien qu’œuvre de propagande, Jules César n’y réduit pas les Gaulois au rang de barbares. L’auteur dégage ainsi plusieurs termes. Celui, complexe, de civitas (cité) désigne, tout à la fois, un territoire, une ville, un système politique et une population. Le terme pagus renvoie à une fraction de territoire, lui-même composé de tribus. La civitas peut être ainsi qualifiée d’Etat fédéral composé de pagi gérés par des magistratures centrales.

L’auteur aborde en premier lieu les limites des civitates, selon diverses méthodes. L’approche dite régressive consiste à donner comme origine des diocèses du haut Moyen-Âge, les limites territoriales gallo-romaines, en sachant que les Romains assoient leur autorité sur des structures déjà existantes donc, probablement, gauloises. Les limites naturelles, la toponymie et les vestiges épigraphiques sont aussi discutés et pris en compte pour déterminer des frontières. Une méthode théorique vient compléter l’analyse, celle des polygones de Thiessen : on tire une droite entre chaque «capitale» de territoires voisins, à partir du milieu de ces droites, on trace une perpendiculaire pour obtenir un polygone. Ce polygone doit représenter schématiquement les frontières du territoire. Il faut, toutefois, être sûr que l’oppidum choisi soit la «capitale», et contemporain des autres. Il apparaît clairement dans les sources historiques que les Gaulois avaient un sens des limites et de la propriété. Or les résultats des diverses méthodes et leur superposition ne permettent pas, en l’état actuel des connaissances, de dessiner des frontières précises, d’autant plus que celles-ci étaient mouvantes, au gré des luttes entre les peuples, les Séquanes et les Eduens pour le contrôle de la vallée de la Saône, par exemple.

Stephan Fichtl aborde ensuite l’organisation interne de la civitas. Elle se structure autour de trois types de sites que l’on retrouve régulièrement dans les différents territoires. Ce sont (1) les oppida, sites fortifiés d’une surface importante, (2) l’habitat ouvert, agglomération non fortifiée généralement en plaine, (3) les sanctuaires. Les mentions historiques et les découvertes archéologiques permettent d’établir l’importance économique et sociale des lieux. La taille, le fait qu’on y frappe la monnaie ou que César le mentionne (par exemple Vesontio (Besançon), désigné comme l’oppidum le plus important des Séquanes) ou, plus simplement, la situation géographique, permettent de démontrer leur rôle de «capitale». Un constat s’impose, il n’y a pas forcément une «capitale» qui se dégage dans chacune des civitates ; certaines ont plusieurs sites d’égale importance et d’autres n’ont qu’un site majeur qui semble insuffisant au contrôle d’un vaste territoire. L’auteur reprend toutes les méthodes précédemment citées pour analyser la structuration interne d’un territoire et ses limites. Il applique les polygones de Thiessen aux agglomérations au sein d’un territoire pour constater que les polygones correspondent approximativement aux pagi. Il analyse la diffusion monétaire et les unités culturelles, et constate que ce qui paraît s’appliquer à un territoire, notamment les petits, n’est pas forcément valable pour les autres. L’auteur établit ce constat en s’appuyant sur différents exemples, notamment ceux de la région dite Belgium du Nord-Ouest de la France, peuplée, entre autres, de Bellovaques, Ambiens, Viromanduens. Il termine ce chapitre par une analyse de l’organisation politique, où l’on remarque que le système monarchique est remplacé par un sénat et des magistrats élus qui constituent une des bases de la civitas.

Un territoire entretient des relations avec ses voisins pour des raisons économiques mais aussi, dans le cas de la Gaule, parce que ses peuples font partie de la même sphère culturelle celtique. L’auteur présente d’abord les assemblées qui étaient organisées à différentes échelles pour, notamment, régler des conflits. Puis les relations entre les territoires sont abordées, relations variables suivant la taille, la puissance et l’intérêt de chacun. Le système des «frères de sang» est une alliance entre deux peuples égaux ; quant au clientélisme et à l’allégeance, ce sont des relations courantes permettant aux petits territoires de se mettre sous la protection de plus puissants. Il n’y a pas forcément soumission de l’un à l’autre : certaines civitates sollicitent librement un patron.

L’ouvrage se termine sur les origines des civitates celtiques en tant qu’entités politiques et territoriales. Les sources écrites sont limitées : elles concernent les Celtes de Cisalpine, Tite-Live mentionnant ainsi l’existence d’un sénat ; des oppida sont cités, notamment Milan pour les Insubres et Côme pour les Oromobii. En Gaule, c’est l’archéologie qui fournit des informations : il semble que les sanctuaires jouent un rôle essentiel dans la création et le développement de la civitas.

On ne peut formuler qu’un seul reproche à cet ouvrage clair, scientifique et informatif sur les peuples celtiques. Sa méthodologie est pertinente mais n’est-il pas prématuré au regard des connaissances actuelles ? En effet, les découvertes archéologiques vont en croissant mais, pour encore bon nombre de territoires, trop peu de sites sont connus. La démonstration bute régulièrement sur le manque d’informations et de cas suffisants dans les territoires, et ne peut, de ce fait, être vérifiée. Stephan Fichtl pourra sans doute reprendre le livre et l’enrichir des nouvelles découvertes.

Les Editions Errance présentent encore une fois un ouvrage de qualité, à la frontière de l’Antiquité et de la Proto-histoire, accessible à un large public. La qualité de ce livre, sa pertinence et la maîtrise des sources dont fait preuve l’auteur, donnent d’ailleurs envie de découvrir ses deux précédents ouvrages.

Yvon Luneau
( Mis en ligne le 09/11/2004 )
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