L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Actualité de la démocratie athénienne
de Jacqueline de Romilly et Fabrice Amadeo
Bourin Editeur 2006 /  17 €- 111.35  ffr. / 170 pages
ISBN : 2-84941-048-9
FORMAT : 14,0cm x 21,5cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement élève conservateur à l’Ecole Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

Immortelle démocratie ?

Jacqueline De Romilly, malgré sa cécité, continue à publier. Elle nous offre ainsi, après ses conversations avec le latiniste Alexandre Grandazzi (Une certaine idée de la Grèce, De Fallois, 2003), un nouveau livre d’entretiens, cette fois avec un jeune journaliste du Figaro, qui a l’âge d’être son petit-fils. Fabrice Amedeo est en effet né «dix ans après mai 68», comme il le rappelle dans son précédent (et premier) livre Les Fossoyeurs de l’Europe (Bourin Editeur, 2004). Diplômé de philosophie et de Sciences-Po Paris, il se livre maintenant à un dialogue intergénérationnel avec l’éminente helléniste.

L’ouvrage est proche dans son esprit de celui de Moses Finley, Démocratie antique et démocratie moderne (Payot, 1976, rééd. 2003), tout en rejoignant la thématique abordée il y a un an de cela par l’académicienne dans L’Elan démocratique dans l’Athènes ancienne (De Fallois, 2005). Jacqueline de Romilly réaffirme en effet avec force qu’il est urgent de renouer avec le principe même de notre démocratie, de retrouver l’élan de ses premiers pas afin de remettre en route une société en panne. Cependant, il ne s’agit pas de résoudre la crise contemporaine par les formules du passé, la démocratie athénienne étant loin de constituer, sur bien des aspects, un modèle (notamment sur la question de la situation des femmes, des étrangers et bien entendu des esclaves). Il s’agit surtout pour les auteurs de donner à une génération nouvelle un éclairage et des éléments qui peuvent lui permettre de se déterminer et de choisir son rôle dans la société à venir.

L’introduction, dans les premières lignes, est quelque peu catastrophiste : «Il est difficile d’être jeune aujourd’hui», dans un contexte où sévissent des crises multiples : «crise des institutions, crise de confiance, crise de notre système d’enseignement» (p.7). Pour les auteurs, il ne faut cependant pas en tirer comme conclusion que l’on devrait faire une révolution ou tout laisser tomber. Il s’agit de prendre d’abord le temps de la réflexion et de revisiter la première expérience connue de démocratie dans le monde, celle de l’Athènes du Ve siècle av. J.-C. Sans l’imiter servilement (ce qui serait d’ailleurs impossible, le modèle étant devenu bien obsolète !), il faudrait surtout retrouver le sens de certaines valeurs qui ont fait la démocratie, en s’inspirant de l’enthousiasme créateur qui traverse les textes grecs, afin de trouver les solutions adaptées au monde actuel.

Le premier chapitre s’efforce ainsi d’approcher «l’esprit de la démocratie», en rappelant la définition de ce régime de «gouvernement du peuple» qui s’oppose au gouvernement par un petit groupe (oligarchie, aristocratie) ou par un seul (royauté, tyrannie). Jacqueline De Romilly rappelle que le développement de la démocratie athénienne a été facilité par des événements politiques importants, à savoir la double invasion de la Grèce par les Perses lors des guerres médiques. Le Ve siècle voit s’affirmer la gloire de la démocratique Athènes, mais s’achève par une autre guerre, celle du Péloponnèse, qui voit triompher l’oligarchique Sparte. Mais la démocratie athénienne était bien différente de la nôtre, dans la mesure où, tout d’abord, il s’agissait d’une démocratie directe, où tous les citoyens pouvaient voter mais aussi intervenir à l’Assemblée ou devenir des juges ou des bouleutes par tirage au sort. Ce mode de fonctionnement n’est bien sûr pas envisageable dans un Etat moderne, mais Jacqueline de Romilly souligne les dangers d’un système représentatif où se développent l’abstention, l’individualisme et le désintérêt pour l’intérêt commun. Il s’agit surtout de renouer avec un idéal de participation publique. Il faudrait aussi retrouver, selon Jacqueline De Romilly, la conception grecque de la loi, qui était conçue de manière positive, comme le fondement de la liberté, et non simplement de manière négative, comme contrainte s’imposant à l’individu. Elle met aussi en garde contre le danger de la démagogie, toujours présent.

Le deuxième chapitre évoque «les valeurs démocratiques» qu’il convient de revivifier, en premier lieu celles de justice et de civisme, ainsi qu’une certaine forme d’amour pour la cité qui ne doit pas empêcher le respect de la diversité de chacun. La tolérance apparaît à Jacqueline De Romilly comme une valeur essentielle de la démocratie (même s’il est peut-être un peu trop anachronique d’employer ce concept pour l’Athènes antique). C’est aussi le cas de la condamnation de la violence, exprimée par les Grecs à travers le concept de «douceur» auquel Jacqueline de Romilly a justement consacré un de ses livres (La Douceur dans la pensée grecque, Hachette, 1979). Mais comment raviver ces valeurs ? Par l’éducation, répond Jacqueline de Romilly, et c’est tout l’objet du troisième chapitre. En effet, la démocratie suppose que ceux qui y participent aient reçu une formation suffisante pour comprendre certains enjeux politiques et électoraux. Or, selon elle, l’enseignement moderne a fait fausse route en s’orientant vers les connaissances pratiques et en mettant plus l’accent sur les sciences que sur les humanités, et notamment les lettres. Son interlocuteur souligne lui-même le discours réactionnaire de l’académicienne (p.51), qui n’est d’ailleurs pas exempt d’erreurs, particulièrement quand elle assène que l’actuelle formation d’éducation civique «sort avant tout des textes et des exemples du passé» (p.58). On a ainsi l’impression qu’elle n’a guère lu les programmes d’éducation civique de collège et d’éducation civique, juridique et sociale de lycée… On ne peut s’empêcher non plus d’éprouver un certain malaise quand elle affirme que «toute manifestation est déjà une forme de violence» (p.60).

Les trois chapitres suivants évoquent les valeurs de liberté, d’égalité et de concorde, tout en soulignant les évolutions des deux premiers concepts entre la démocratie athénienne (où ils renvoyaient surtout au seul domaine politique) et la démocratie contemporaine. Le septième chapitre traite de la question de la violence. Sur ce sujet, Jacqueline De Romilly avoue qu’elle n’est pas sûre qu’il suffise de se tourner vers les textes grecs pour résoudre ce problème contemporain si aigu. Il faut dire que les anciens Grecs n’ont pas été des modèles de non-violence, et que le concept de violence renvoyait surtout chez eux aux guerres entre cités et aux guerres civiles, ces dernières étant les seules véritablement condamnées. L’Europe fait l’objet du chapitre huit. Bien que le nom de notre continent soit également celui d’une héroïne de la mythologie grecque (mais Phénicienne donc Asiatique !), et que les Grecs aient eu un sens aigu de leur différence d’avec les sujets asiatiques du Grand Roi des Perses, on ne peut guère dire que leur réflexion nous soit utile sur ce plan là. Cependant, la tradition gréco-latine apparaît comme le ciment de la civilisation européenne. Europe et démocratie sont liées, dans la mesure où cette dernière est un des critères pour entrer dans l’Union Européenne. Jacqueline De Romilly n’en critique pas moins l’élargissement (p.134), se montrant hostile à l’adhésion de la Turquie. La discussion porte ensuite sur le projet de Constitution, auquel elle était favorable.

Le chapitre neuf évoque les partis, syndicats et associations. L’helléniste se montre très critique sur les deux premiers, qu’elle accuse d’envenimer les problèmes et de favoriser la violence. On pourrait presque y lire une critique gaullienne des partis politiques envisagés comme des forces de division… Quant aux syndicats, on a déjà souligné ce qu’elle pense des manifestations. Elle ne remet pas en cause le droit de grève, mais souligne que «certaines occupations peuvent être discutées» (p.144), et que «l’occupation par la force de locaux d’enseignement, comme ce fut le cas avec le CPE, est inadmissible» (p.145). Elle se montre beaucoup plus favorable aux associations, et évoque son propre engagement dans l’association l’Elan nouveau des citoyens, qui mène des actions extrêmement diverses mais qui ont en commun de vouloir faire renaître chez le plus grand nombre possible l’intérêt civique (visites de jeunes à des personnes âgées et seules, correspondance entre des jeunes isolés et des adultes, correspondance entre jeunes français et jeunes étrangers, concours où des jeunes raconteraient un acte digne d’admiration, etc…). Pour elle, à travers ces échanges, nos contemporains rejoindraient ce qui existait dans l’Athènes ancienne au sein de l’Assemblée ou des tribunaux.

En conclusion, et malgré l’introduction quelque peu pessimiste et de nombreux cris d’alarme, Jacqueline De Romilly se prononce contre le désenchantement actuel, malgré les indéniables difficultés économiques et le manque de repères. Il ne s’agit pas forcément de modifier les institutions, mais de faire revivre un effort créateur pour obtenir une démocratie vivante et à laquelle tous puissent mieux participer. Dès lors, on ne peut que souscrire à un si noble idéal.

Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 11/10/2006 )
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