L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Sexe et pouvoir à Rome
de Paul Veyne
Seuil - Points histoire 2007 /  8 €- 52.4  ffr. / 208 pages
ISBN : 978-2-7578-0420-9
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Préface de Lucien Jerphagnon.

L’auteur du compte rendu : Yann Le Bohec enseigne l’histoire romaine à la Sorbonne. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages adressés tant aux érudits qu’au grand public. Il a notamment publié L’Armée romaine sous le Haut-Empire (Picard, 3e édit., 2002), L’Armée romaine sous le Bas-Empire (Picard, 2006, prix Millepierres de l’Académie française), César, chef de guerre (Éditions du Rocher, 2001), et L’Afrique romaine (Picard, 2005).


Les Romains, le plaisir et le pouvoir

Il est d’autant plus facile de prédire le succès à ce livre qu’il a été publié il y a déjà deux ans, et qu’il figure maintenant dans toutes les bonnes bibliothèques. Certes, le sujet n’est pas neuf, et tout le monde connaît l’excellent ouvrage de Pierre Grimal, L’Amour à Rome (Hachette, Paris, 1ère édition 1963, plusieurs fois réédité). Dans un registre plus cru, nous rappellerons un autre bon livre, celui qui a été rédigé par Madame Géraldine Puccini-Delbey, La Vie sexuelle à Rome (Tallandier, 2007, Paris).

Le succès de cet ouvrage s’explique par plusieurs raisons, de fond et de forme, dont la moindre n’est pas la réputation de l’auteur. Mais le plus important, c’est le titre : il annonce trois thèmes qui suscitent toujours l’intérêt du public, le sexe, le pouvoir et, surtout, le sexe et le pouvoir, liés l’un à l’autre. De plus, les textes sont courts, car il s’agit de la reprise d’articles déjà publiés pour la plupart d’entre eux dans une revue disponible dans les kiosques à journaux, L’Histoire. La forme de l’interview, choisie pour plusieurs, les rend encore plus vivants. Vivante aussi, et brillante, est la préface de Lucien Jerphagnon qui joue sur les mots avec habileté et élégance, pour présenter le dialogue entre un historien philosophe et un philosophe historien.

Mais on trouve dans ce livre plus que le sexe et le pouvoir. Dans la première partie (la première de quatre), le lecteur trouvera des réflexions assez générales sur la civilisation romaine, sur les hommes de l’Antiquité, surtout ceux qui ont vécu sous le Haut Empire, et sur ce qu’ils nous ont laissé, sur leur héritage. Car — n’en déplaise à quelques esprits actuels — le monde dans lequel nous vivons ne s’est pas bâti sur rien et ne s’est pas bâti en une génération ; il a un long passé, une histoire, et Rome y a sa place. La deuxième partie traite plutôt de la légende noire de Rome. Sur la corruption, nous avons tout à apprendre des Romains, dit l’auteur, car leur État ressemblait à la mafia ; ce point de vue, peut-être un peu excessif, n’en attire pas moins l’attention sur un aspect trop négligé de la vie politique à Rome. La question que l’on se posera alors, peut-être, est de savoir si ces pratiques font partie de l’héritage. L’Antiquité est, de toute façon, d’une brûlante actualité : Quoi de neuf ? — Le passé. Pour en revenir à cette deuxième partie, on y trouvera un passage sur l’obscénité et le folklore qui nous rappellera que les Romains étaient des Méditerranéens.

La troisième partie aborde la question de la mort. Les Romains, comme on sait, ne rechignaient pas devant le suicide, que Jean-Louis Voisin préfère appeler «la mort volontaire», quand ils n’avaient pas d’autre solution pour échapper au déshonneur, à la prison (qui est déshonorante pour un noble) ou à la maladie quand elle paraissait dégradante. D’autres hommes allaient vers un décès précoce, plus ou moins volontairement il est vrai ; c’étaient les gladiateurs, des «artistes maudits», comme les appelle si bien P. Veyne, qui offraient leur mort en spectacle. Dans la quatrième partie, des sujets moins sombres sont abordés. Le mariage, pourtant, n’avait rien de drôle et, surtout, n’avait aucun lien avec l’amour. Plutôt redouté par les hommes comme par les femmes, il était pratiqué, d’après l’auteur, pour deux raisons, la coutume et la dot. La célébration de cette union s’accompagnait de festivités qui peuvent être connues grâce à une célèbre peinture murale (plutôt que «fresque») de Pompéi trouvée dans la non moins célèbre villa des mystères. Pour l'auteur, qui se fonde sur un parallèle avec les «noces aldobrandines», cette œuvre, constitue une parodie libertine et elle ne peut pas être comprise si l’on y recherche des symboles. Nous rappellerons qu’une interprétation différente avait été proposée par Gilles Sauron (Paris, Picard, 1998). La question de l’avortement est aussi abordée, et l’auteur revient pour finir sur un de ses thèmes de prédilection, l’homosexualité, replacée avec bonheur dons le contexte d’une société machiste.

La notion de «Romains», dont il est beaucoup question dans ce petit livre, appelle une remarque. D’une part, elle présente l’avantage de renvoyer à un socle, l’appartenance au polythéisme qui ne lie pas la sexualité à la notion de péché, comme le font judaïsme et christianisme. Pour tous, s’accoupler était un besoin naturel comme boire, manger ou se laver. D’autre part, on serait tenté de dire que les «Romains» n’ont pas existé, pour trois raisons. D’abord, un océan sociologique séparait les petits paysans des montagnes de la Sabine des aristocrates qui vivaient dans l’Vrbs, ceux que fréquentaient Horace et Ovide. Pour les distinctions de ce domaine, nous pouvons emprunter un exemple à l’épigraphie. Une enquête faite récemment par une étudiante (Mlle Laetitia Maggio) a montré sans ambiguïté possible que les Romains de la Numidie septentrionale, sous le Haut Empire, se comportaient comme les petits bourgeois français du milieu du XIXe siècle : les parents s’aimaient et vouaient les mêmes sentiments à leurs enfants qui les leur rendaient bien, au moins dans l’idéal. Ensuite, un océan géographique séparait les habitants de la Syrie et de l’Égypte des hommes qui vivaient dans l’Armorique ou en Bétique. Enfin, un océan chronologique séparait les contemporains de Lucrèce et ceux de Plotin : l’épicurisme qui a marqué les beaux esprits et les élites du Ier siècle avant notre ère, et dont on trouve des traces jusqu’au temps d’Auguste (Horace est, à cet égard, un retardataire), a cédé la place au stoïcisme puis au néo-platonisme. Et les intellectuels païens des IIIe–IVe siècles de notre ère jetaient sur la sexualité un regard peu complaisant ; un Julien, celui que les Chrétiens ont appelé «l’Apostat» et qui a régné de 361 à 363, n’avait rien d’un joyeux luron et, dans ce domaine, il peut être comparé à un St. Augustin.

S’il est finalement beaucoup question de sexe dans ce livre, le pouvoir y est moins souvent traité. Les thèmes abordés sont tous importants et intéressants, présentés avec sérieux et légèreté à la fois. D’où le succès de l'ouvrage.

Yann Le Bohec
( Mis en ligne le 06/11/2007 )
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