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Histoire & Sciences socialeset Moyen-Age  

Le Parlement de Paris - Histoire d’un grand corps de l’État monarchique. XIIIe-XVIIIe siècle
de Françoise Hildesheimer & Monique Morgat-Bonnet
Honoré Champion - Histoire et archives 2018 /  58 €- 379.9  ffr. / 830 pages
ISBN : 978-2-7453-4812-8
FORMAT : 15,5 cm × 23,5 cm

Françoise Hildesheimer collabore à Parutions.com

L’auteur du compte rendu : Madeleine Haehl est maître de conférences honoraires en histoire du droit à l’Université Jean Moulin Lyon III. Elle a notamment publié Les Affaires étrangères au temps de Richelieu. Le secrétariat d’État. Les agents diplomatiques (1624-1642), Paris, Ministère des Affaires étrangères, 2006.


Hommage au Parlement

S’il est vrai que le Parlement de Paris, la plus ancienne et la plus prestigieuse des cours souveraines du royaume, issue de la Curia regis, fascine autant par son histoire qui se confond avec le développement de lÉtat royal que par l’immensité de ses archives, la somme érudite et exhaustive qui lui est consacrée par Françoise Hildesheimer et Monique Morgat-Bonnet l’illustre pleinement.

Couronné par le prix des Antiquités de la France 2019, décerné par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, l’ouvrage aussi dense que foisonnant, rompant avec une approche du sujet par thème ou par période, à partir des archives du Parlement dont les auteurs ont publié en 2011 un État méthodique, embrasse dans la continuité cinq siècles et demi d’histoire des relations entre le roi et sa Cour à qui il a délégué l’exercice de la justice souveraine, et restitue sa cohérence, au-delà des règnes et régences, des tensions et des ruptures, à l’action des membres de la Compagnie, soucieux de paix et de justice, qui n’ont cessé d’œuvrer avec le roi à la construction de l’État de droit.

On comprend l’importance d’une telle publication qui, en s’appuyant sur les archives dans lesquelles se sont immergés les auteurs et à la faveur du renouvellement de la recherche des dernières décennies, dessine de nouvelles lignes de force, propose des lectures différentes, bouscule lieux communs et analyses formatées. En suivant la chronologie des règnes et en distribuant les différentes parties et sous-parties avec pertinence, les auteurs entraînent le lecteur dans un long parcours dont on ne peut ici qu’esquisser les étapes.

La première partie, «Sur les traces des origines», inscrit dans la longue durée le temps des origines de l’époque mérovingienne jusqu’au règne de Philippe-Auguste. Après avoir rappelé le débat autour de la filiation entre le Parlement et les assemblées germaniques et détaché les éléments de continuité, elle s’attache aux premiers pas de la justice du roi capétien, d’abord suzerain puis progressivement souverain, tandis que la composition de la Curia regis évolue pour laisser place aux légistes. Sous le règne de Louis VII, le nombre de procès jugés dans l’enceinte du Palais royal de l’île de la Cité augmente, mais l’essor de la justice royale s’accélère vraiment sous le règne de Philippe-Auguste avec le rôle central de la Curia regis qui contrôle, par la voie de l’appel hiérarchique, les juridictions royales inférieures puis les justices seigneuriales et celles des grands vassaux. La généralisation de la procédure d’enquête, la conservation des premières décisions au greffe, concourent à la naissance du Parlement.

La deuxième partie, «Une construction de droit et d’archives», décrit les deux siècles fondateurs dans l’histoire du Parlement, du règne de Louis IX à celui de Charles VII, un temps de coopération entre le roi justicier et la Cour de Parlement dont l’organisation est réglée par de nombreuses ordonnances. Le roi rend justice et la Cour met un droit essentiellement coutumier au service de la justice. Les premiers registres, les Olim, donnent le jour à une mémoire écrite commune.

C’est au lendemain de la première croisade que Louis IX décide de convoquer plus souvent les sessions judiciaires de la Curia regis et fait évoluer les sessions, parlamenta, vers une cour de justice autonome, rendant en son nom une justice souveraine dans tout le royaume. La Cour, dès lors, affirme sa compétence universelle soutenue par les ordonnances qui étendent l’appel et la procédure d’enquête. De leur côté, les décisions de la Cour relaient et appuient la législation royale tout en comblant ses lacunes. Un certain nombre d’arrêts de règlement dans les domaines de la procédure et du droit privé serviront de base aux ordonnances futures. Enfin, en épurant le droit coutumier, la Cour participe activement aux côtés du roi à la construction de l’État de droit.

Après saint Louis, les ordonnances se succèdent pour préciser la procédure et la compétence du Parlement sédentarisé au Palais royal, réaménagé par Philippe IV le Bel, puis pour régler son fonctionnement et la déontologie de ses membres, une voie poursuivie par ses successeurs. La pratique de l’enregistrement et de la publication de la loi est généralisée et, à partir de 1350, s’ouvre dans les archives la série des Ordonnances. Avec les premiers Valois et le début de la guerre de Cent ans, commence une période agitée, mais les épreuves soudent les souverains et le Parlement, confirmé dans sa fonction de justice et de conseil, qui agissent ensemble pour reconquérir le royaume, consolider la monarchie, poursuivre la construction de l’État de droit. La patrimonialité des offices favorise la constitution d’une noblesse de robe solidaire et stable au cœur de l’État. L’entente s’achève avec le règne de Louis XI.

La troisième partie, «Le venin de Mammon», ouvre deux siècles d’une histoire plus complexe et tumultueuse jusqu’au règne de Louis XIV, avec en toile de fond la dérive qui va désormais peser sur le fonctionnement de l’État : la finance y prend le pas sur la justice. Au-delà de la personnalité de Louis XI qui brise l’harmonie des relations entre le roi et la Cour, se dessine l’évolution de la monarchie, confrontée à de nouveaux impératifs et de nouvelles menaces. Les équilibres institutionnels changent avec le renforcement de l’autorité royale qui affirme sa souveraineté par la loi. Le roi législateur tend à se conforter dans un exercice du pouvoir plus solitaire, aidé de son Conseil dont le rôle croissant exclut le Parlement confiné dans son rôle judiciaire et affaibli par la concurrence d’une autre cour souveraine, le Grand Conseil.

La procédure d’enregistrement des ordonnances est un enjeu majeur pour le Parlement et les cours souveraines qui critiquent notamment la gestion aléatoire d’une monarchie sans cesse endettée au mépris de l’intérêt général. La coopération entre le roi et la Cour bascule dans une collaboration obligée, une cohabitation souvent chaotique au rythme des règnes et des événements qui radicalisent les tensions et l’esprit des remontrances. Si le Parlement est exclu «des affaires de l’État», il est bien présent sur la scène politique pour soutenir le roi dans sa lutte contre l’hérésie dont la répression relève de sa compétence, affirmer les principes du gallicanisme, se poser en recours dans les moments difficiles, s’ériger enfin en gardien des Lois fondamentales au moment où Jean Bodin définit une nouvelle souveraineté indivisible et sans partage.

Au début du XVIIe siècle, les nécessités de la guerre et l’évolution autoritaire du pouvoir restauré et renforcé par Henri IV se conjuguent avec une pression accrue de la finance qui rejaillit sur la fiscalité et la vénalité des charges qui deviennent héréditaires. L’heure n’est pas à laisser le Parlement empiéter sur l’autorité royale même s’il a joué un rôle décisif dans l’installation de la Régence. Après la rude mise au pas de la Cour sous le règne de Louis XIII et le ministère de Richelieu, la Fronde cristallise les tensions et les contradictions de l’évolution de la royauté de justice à l’État de finance que le Parlement dressé un instant contre l’autorité royale ne peut empêcher. Le règne de Louis XIV consomme la défaite du Parlement, une défaite relative. L’habile stratégie de soumission, la restriction drastique du droit de remontrances n’atteint pas l’esprit de l’institution ni la conscience des juges. La restitution de ce droit au Parlement en septembre 1715 signe l’échec du roi qui, au crépuscule de sa vie, n’a pas mesuré les failles d’un testament qui précisément entraînaient son retour en force.

C’est enfin une relecture complète des relations entre le roi et la Cour au XVIIIe siècle que propose la quatrième partie, «Dialogues de sourds». L’incompréhension des souverains à l’égard d’un Parlement tourné vers le passé en quête d’une impossible union en est la trame, loin de la thématique binaire de l’opposition du Parlement à la monarchie que l’historiographie interprète sans fin. «Contrairement à l’opinion courante soulignent les auteurs, le Parlement n’a pas eu de ligne directrice qui en aurait fait l’opposant à la monarchie que l’on dépeint si souvent». «Nulle volonté préméditée de prendre le pouvoir au roi, selon David Feutry, d’établir un régime monarchique à l’anglaise ou de renverser le trône en s’appropriant ses prérogatives. Le seul dénominateur commun d’une majorité de magistrats était probablement leur volonté de servir le roi, avec un esprit résolument gallican...» «En revanche, on y trouve un écheveau embrouillé de conflits de personnes, de rancœurs de la part des magistrats devenus des pions dans le cadre des rivalités ministérielles… Après le règne impérial de Louis XIV, ses successeurs ont manifesté leur incapacité à maintenir une ligne de conduite suivie et, indissociables, les deux partenaires – le roi et son Parlement – ont subi une double et parallèle dérive. Désormais divisé, le Parlement est incapable de faire autre chose que de réagir, voire de sur-réagir aux situations qui se présentent à lui… Profondément gallican et appuyé sur le droit et l’histoire, il s’est constamment voulu défenseur des droits de son roi, face aux hésitations de la politique royale, et a même été amené à sublimer son rôle historique, juridique et politique développé dans ses remontrances dont on a trop privilégié le discours qui est de communication».

Jusqu’au bout le Parlement assume son destin qui est d’être emporté avec la monarchie. L’épilogue rappelle très utilement le fonctionnement subtil de ce qui fut le plus grand corps de l’État monarchique, l’œuvre judiciaire engrangée dans les archives et l’héritage considérable pour notre droit et nos institutions. Il est peu de dire l’immense travail de recherche et d’analyse accompli par Françoise Hildesheimer et Monique Morgat-Bonnet qui, à travers la synthèse la plus aboutie de l’histoire du Parlement de Paris, donnent les clefs de l’histoire de la justice et de l’État, ce que l’Institut a voulu assurément distinguer.

Madeleine Haehl
( Mis en ligne le 12/07/2019 )
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