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Histoire & Sciences socialeset Moyen-Age  

Les Chevaliers teutoniques
de Sylvain Gouguenheim
Tallandier 2008 /  27 €- 176.85  ffr. / 780 pages
ISBN : 978-284734-220-8
FORMAT : 14,5 x 21,5

Au service de Dieu et de la Vierge Marie

Moins célèbres que les Templiers parce qu’il ne flotte dans leur sillage aucun fumet de barbecue d’hérétiques, les Chevaliers teutoniques jouèrent cependant dès le XIIIe siècle un rôle déterminant dans la formation géopolitique de l’Europe à venir. Une page de l’histoire étonnante et méconnue, à redécouvrir.

«Votre ordre est dans les faits un ordre étrange, surtout parce qu’il a été fondé pour conduire la lutte contre les incroyants – et c’est pourquoi il doit être dans le siècle et manier un glaive séculier – et parce qu’il doit pourtant aussi en même temps être spirituel, faire et respecter les vœux de chasteté, pauvreté et obéissance, comme les autres moines. À quel point cela ne rime à rien, la raison et l’expérience quotidienne l’enseignent parfaitement». C’est en ces termes drus que Martin Luther s’adressait au grand maître Albert de Hohenzollern pour tenter de le convaincre que son ordre, déjà obsolète à maints égards, devait se résoudre à la sécularisation. On était alors en 1523, au crépuscule d’une aventure qui avait commencé quelque trois siècles plus tôt, en Terre Sainte.

Entre 1189 et 1190, la «Maison de l’hôpital des Allemands de Sainte-Marie de Jérusalem» est fondée en bordure des remparts de Saint-Jean d’Acre. Sa vocation première est de panser les blessures et de bénir les cadavres des Croisés venus de l’Empire germanique pour libérer le Tombeau du Christ. Il faudra attendre une décennie pour que cette minuscule institution de charité accède au rang d’ordre militaire et que ses quelques membres apparentent leur résistance à celle que les Macchabées opposèrent au roi Antiochos IV.

Sous l’impulsion de son quatrième grand maître, Hermann de Salza, qui fut un diplomate des plus avisés, l’Ordre teutonique obtint l’égalité de droits avec le Temple et l’Hôpital. De reconnaissances en donations officielles, l’expansion territoriale et la notoriété des Teutoniques ne faisaient que commencer. Ils s’installèrent très tôt en Sicile et, en 1211, André II de Hongrie leur offrit la Terre de Borza, pour qu’y soient combattues les populations païennes. L’«exception teutonique» prend réellement ses racines dans ce progressif mais irrépressible retour vers l’Europe, car l’Ordre fut le seul de son genre à s’implanter durablement sur le continent, de la Pomérélie à l’Estonie, pour de surcroît y développer un authentique modèle de société.

Depuis le pontificat de Honorius III, qui lui octroya de nombreux privilèges dans la Charte Etsi Neque de 1220, l’Ordre entretint des rapports étroits avec le Saint-siège, qui voyait dans ces «Chevaliers de la Vierge» un bras armé indispensable à la conversion des Incroyants les plus tenaces. L’habileté de l’Ordre résida en ce qu’il sut conjuguer les effets de la bienveillance papale avec les faveurs de l’Empereur Frédéric II. La «Bulle d’or de Rimini» délivrée par ce dernier élève le grand maître au rang de Prince. La souveraineté étant définitivement acquise, rien d’étonnant à ce que bientôt la soif de pouvoir profilât son museau vorace…

Sylvain Gouguenheim a relevé la gageure de narrer avec souplesse et érudition l’évolution de cette micro-société, hissée au rang d’État indépendant. Son triple labeur de chartiste, de traducteur et d’historiographe est d’une clarté peu commune. Ne négligeant aucun aspect (l’économie, la polémologie, les fondements spirituels, la littérature, etc.), l’historien aboutit à une synthèse qui n’a rien à envier en honnêteté et en qualité à celle de l’un de ses plus illustres prédécesseurs, Johannes Voigt. De quoi cesser de contempler avec des yeux chassieux les hiératiques brutes bardées d’une croix noire qu’Eisenstein figura dans son magistral (et néanmoins tendancieux) Alexandre Nevski

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 18/01/2008 )
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