L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Moyen-Age  

Les Superstitions au Moyen Age
de Jean Verdon
Perrin 2008 /  21 €- 137.55  ffr. / 318 pages
ISBN : 978-2-262-02489-5
FORMAT : 14,0cm x 21,0cm

L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions d’histoire des religions et d’histoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages d’initiation portant notamment sur le Moyen Age et sur l’histoire de l’art.

Une fille très folle

Voltaire jugeait, dans une de ses phrases au contenu définitif citée par Jean Verdon, que «la superstition est à la religion ce que l’astrologie est à l’astronomie, la fille très folle d’une mère très sage». Une assertion trop «raisonnable» pour que l’auteur du présent livre l’accepte telle quelle, persuadé que superstition et magie ressortent d’un besoin de l’homme de pénétrer et tenter de dominer les choses de la vie, besoin auquel la religion n’apporte qu’une réponse insuffisante. Et parcourant les siècles qui lui sont familiers, dans la démarche diachronique qui lui a souvent permis d’appréhender les grands aspects de la vie quotidienne de nos ancêtres, il nous fait pénétrer dans le monde obscur des croyances et des pratiques les plus secrètement enfouies dans l’homme.

Toutefois, il lui a fallu classer de façon chronologique les phénomènes qu’il met en lumière : quelles que soient les permanences des besoins humains, les héritiers de l’Antiquité tardive ne pensent et ne réagissent pas comme les hommes qui mènent la chasse aux sorcières à la fin du Moyen Âge. De façon convaincante, J. Verdon distingue trois phases chronologiques dans son étude : les Ve-XIe siècles lui apparaissent encore tout entachés de paganisme, les XIe-XIIIe voient le surgissement de la culture folklorique, et les XIVe-XVe sont marqués par le satanisme. Par force, les sources utilisées sont on ne peut plus diverses, et plus ou moins riches selon les périodes et les superstitions considérées. Pour les périodes les plus anciennes, la quête se fait surtout à travers les textes d’ordre juridique : législation civile ou canons conciliaires ; de façon plus générale, les pénitentiels permettent de pénétrer à l’intérieur de la pratique. Les chroniques et autres textes littéraires, lorsqu’ils deviennent quantitativement importants, racontent, en même temps qu’ils commentent. Quant aux procès en sorcellerie, ils ont laissé de nombreuses traces judiciaires.

À toutes époques toutefois, il convient que l’historien garde le recul nécessaire : une pratique ne peut être que déviante, donc superstitieuse, donc condamnable, que par rapport à une attitude définie a priori comme orthodoxe. C’est dire combien l’analyse de tous ces phénomènes requiert de délicatesse. Et que de non-dit, qui reste à pressentir à travers des sources discrètes, méfiantes, ou hostiles, voire orientées. De toutes façons, le superstitieux ne s’exprime jamais en tant que tel, pas plus d’ailleurs que le magicien. Est-ce parce que les intéressés sont majoritairement des femmes ?

Au long de son enquête, J. Verdon nous entraîne aussi dans les lieux de la superstition. Certains traversent les temps et la géographie. Ce sont ceux qui touchent aux moments importants de la vie de l’homme : la chambre de l’accouchée, le lit de la mort, la table du repas, le travail quotidien. Ceux aussi où se côtoient sacré et profane : ainsi les cimetières et les églises, et plus largement, tout ce qui tourne autour de la fréquentation des saints. Sans oublier la prière… et envers qui elle s’adresse. Certains champs sont récurrents, et considérés, selon les époques et les individus, de façon totalement contradictoire. L’astrologie constitue de ce point de vue un des domaines les plus démonstratifs, et un de ceux qui ont le plus interpellé penseurs et praticiens. Il y a loin d’Augustin, arguant des destins évidemment différents de jumeaux nés sous la même conjonction, aux rois de France du XVe siècle tel Charles VII appointant son très officiel «astrologue du roi». De même les voyages nocturnes des sorcières, considérés comme de purs fruits d’imagination, ou des preuves de pactes diaboliques.

On voit combien est riche le parcours accompli par l’auteur, qu’il faudrait suivre pas à pas. Relevons, à titre d’exemple, la fine analyse qui se dessine au fil des pages depuis l’introduction jusqu’à l’installation du diable dans les mentalités, populaires et/ou savantes. Et aussi la frontière ténue qui sépare les pouvoirs thaumaturgiques des saints et ceux que revendiquent, parfois exercent, les magiciens. Quelle différence dans la pratique ? En toile de fond commune à toute cette enquête demeure le rapport au sacré, au surnaturel : pour Dieu ? avec Dieu ? contre Dieu ?

Le livre de Jean Verdon s’adresse à tout lecteur, historien ou simple curieux. Vaste et habile synthèse, il a puisé son information aux plus récents et meilleurs travaux des historiens de l’anthropologie, de l’histoire des religions et des mentalités.

Jacqueline Martin-Bagnaudez
( Mis en ligne le 19/04/2008 )
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