L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Pamphlets
de Cardinal de Retz
Editions du Sandre 2009 /  34 €- 222.7  ffr. / 430 pages
ISBN : 978-2-358-21029-4
FORMAT : 16cm x 24cm

Édition établie, présentée et annotée par Myriam Tsimbidy.

La puissance de feu du polémiste

«Il n’est jamais permis à un ecclésiastique de confesser qu’il est armé, même quand il l’est. Il y a des matières sur lesquelles il est constant que le monde veut être trompé». Ce passage des Mémoires de Jean-François Paul de Gondi, coadjuteur de l’archevêque de Paris puis cardinal de Retz, docteur ès fronde, en dit long sur la tournure d’esprit de ce dernier – et peut-être, aussi, de son siècle. Jusqu’où donc s’étendent ces matières qu’évoque le sibyllin prélat ? Assez loin, sans doute…

Les Mémoires illustrent avec force ce que prétend Machiavel de l’action : qu’elle est l’apanage des esprits froids. Un esprit froid, le cardinal le fut éminemment, et une machine à calculer les chances, prévenir les écueils, saisir les occasions. C’est ce tempérament à double tranchant qui projeta Gondi dans les hautes températures de la cabale ; à double tranchant, parce que les calculateurs, les cerveaux-machines, les esprits surfins, paraissent moins souvent maîtres qu’esclaves de la nécessité imposée par leurs propres combinaisons ; se rêvant torrents emportant tout sur leur passage, ils sont bientôt emportés...

Retz s’inquiétait, comme son siècle, des apparences : il crut pouvoir ménager la chèvre et le chou, en l’espèce l’ambition et la vertu. Échec glorieux : les Mémoires démontrent, presque malgré eux, la classique répulsion qu’entretiennent brigue et droiture, course aux honneurs et vertu. Sentons au contraire, un instant, ces délicats sophismes dont veut nous parfumer notre frondeur: «Qu’est-ce qu’un Prélat ne doit point à son honneur ? N’est-il pas son premier prochain ? et la Justice l’obligeant de rendre tout à tous, n’est-il pas le premier de ce nombre ?» (Pamphlets, p.194). L’égoïsme corollaire de la Justice, jolie pirouette… Dans ses Mémoires, celui qui décrochera le chapeau cardinalice à force d’intrigues fournit les pièces de son procès. Avec une sincérité qualifiée à tort de cynique, en fait presque bonhomme, il étale sous l’œil du lecteur, lequel n’a besoin d’être ni un bigot ni une sainte-nitouche pour en être frappé ou amusé, l’incroyable décontraction avec quoi, dans les temps de la Fronde et dans les suivants, il fut un fieffé opportuniste et un hypocrite très subtil, à peu près dénué de scrupule à l’endroit des limites que lui imposait sa prélature… Reconnaissons quoi qu’il en soit que Retz offre aux âmes naïves – dont nous sommes – un puissant déniaisement, en montrant tant de bonhomie dans l’hypocrisie, de naturel dans la propagande, d’aisance dans les eaux glacées de l’opportunisme politique.

Ceci est plus vrai encore avec le beau recueil or et sang élaboré par Myriam Tsimbidy pour les Éditions du Sandre. De surcroît, le bon cardinal de Retz regorge de séductions, et sa palette déborde de couleurs. De nos yeux avides d’exploits oratoires, nous goûtons une joute rythmée, et de sacrés duels. De plume, et non plus d’épée : les libellistes succèdent aux mousquetaires. Les héros et les vilains, ce sont les grands acteurs de la Fronde : le vil Mazarin bien sûr, et Anne d’Autriche, le Grand Condé, le duc d’Orléans, Chavigny, le duc de Beaufort, et, last but not least, le Roi – lequel n’apparaît jamais autrement qu’en tant qu’institution essentiellement juste et bienveillante, qu’il s’agit d’arracher à l’influence du mauvais ministre. Les frondeurs ne remettent jamais en cause le principe monarchique, et cependant ils le minent… Inutile de rappeler l’objectif, simplissime, des pamphlets : il s’agit de laminer l’adversaire, de le clasher, et de se donner, par contraste, une mine de vierge incorruptible. À qui s’adresse cette propagande ? Au peuple. Mais par peuple, il faut entendre le bourgeois de Paris, les grandes corporations de marchands.

Le cardinal de Retz, donc, eut deux talents : l’intrigue et l’écriture. Ces deux dons font un lorsqu’il s’agit de pousser la mazarinade… et de se pousser soi-même ! Le prélat ne peut décemment signer ses pamphlets : il fait parler tantôt un défenseur imaginaire, tantôt ses ennemis, pour les ridiculiser. Le cardinal goûta fort de mettre des apologies de sa personne dans la bouche d’un autre, et les hymnes qu’au moyen de cet artifice il se chante à lui-même sont divinement boursouflées, et croquignolesques : il se les offre rubis sur l’ongle, plaçant sur sa propre tête lauriers et auréole et louant, de son auguste personne, la mesure, le goût du bien public, la «vertu inébranlable» (p.35), «la dignité, l’esprit, la fermeté et le désintéressement» (p.212). Il faut dire que notre Samaritain n’a jamais agi que «pour la conservation de Paris, et l’amour des Peuples, avec lesquels il doit vivre jusques au dernier soupir de sa vie» (p.155). Voilà pour la galerie – laquelle n’est pas dupe, du reste. On touche au sublime avec l’apologie intitulée Discours sur la conduite et sur l’emprisonnement de Monsieur le Cardinal de Retz, en comparaison duquel les Vies des saints pâlissent de timidité hagiographique… Retz met la gomme dans ce texte, à grand renforts de lyrisme en roue libre, et l’histoire qu’il y fait de ses succès à l’Université (réels et remarquables, du reste) est d’une outrance impayable. On croirait un nouveau Jésus enseignant aux docteurs : «[…] on le vit incontinent si rempli des vérités de cette science Divine et si fort éclairé de ses lumières, que des plus saints et des plus capables Prélats de France l’obligèrent à se faire voir dans les meilleures chaires de Paris, où toute cette grande ville admira les excellentes et merveilleuses Prédications qu’il fit en un âge où les autres savent à peine les éléments de la Religion» (p.193). Un peu plus loin, c’est le pompon : le cardinal n’est rien moins que «l’honneur du Siècle et de l’Église» (p.227). Exilé à Rome, comment notre fugitif envisage-t-il son sort ? Tout simplement comme «l’injure la plus atroce et […] l’outrage le plus sanglant que l’Église ait peut-être jamais reçu depuis sa naissance» (p.260). Le «peut-être» est de trop, sans aucun doute… Le parti de Condé rétorqua avec raison : «[Monsieur le Cardinal de Retz] est éloquent, et il ne fit jamais mieux que de mettre lui-même la main à la plume pour faire son Panégyrique» (p.298).

Ces énormités, très réjouissantes, n’éclipsent pas l’essentiel : la verve de l’orateur, et la puissance de feu du polémiste. Le pauvre Chavigny ravale probablement ses larmes dans sa tombe, lui qui sanglota en accusant réception du superbe missile retzien, à l’impeccable fuselage, intitulé Les Contretemps du sieur de Chavigny. L’ironie carnassière de notre artilleur ecclésiastique est tout entière dans la promesse faite peu après au pauvre Chavigny «qu’il [Retz] travaillerait à son panégyrique encore plus volontiers»… (p.126). Le Vrai et le Faux de Monsieur le Prince et de Monsieur le Cardinal de Retz est également un fort joli boulet, de même que Les Intérêts du temps, libelle qui à la force du propos joint la subtilité de l’analyse. Citons enfin, pour le plaisir, cette cruelle pichenette : «Je ne m’étendrai point sur les intérêts de Monsieur le Duc de Beaufort : il ne les connaît pas assez lui-même pour savoir en quoi ils consistent» (p.167). Les adversaires du prélat, et d’abord le parti du Prince de Condé, ne sont pas à cours de munitions, et le recueil produit des bribes de leurs ripostes, dont beaucoup tapent dans le mille ; l’une d’elle nomme le cardinal un «prélat de la nouvelle mode, qui fait gloire des cabales et intrigues, qui professe hardiment ce qui lui est sévèrement défendu» (p.148).

N’accablons cependant pas trop notre bon cardinal : les frondeurs mangèrent à tous les râteliers, et qu’est-ce que la Fronde, sinon des retournements de vestes, des trahisons, des jeux de dupe, des lâchages, à tel point que le plus constant des gentilshommes devait nécessairement passer, dans ce méli-mélo, pour une girouette. Ce recueil des Pamphlets montre bien les derniers soubresauts avant l’absolutisme, que furent les entreprises séditieuses et guerrières des Grands et des frondeurs. «Ils font bien souvent servir le peuple à leurs desseins, et non pas leurs desseins aux peuples» (p.105), disait le cardinal de ses ennemis, lesquels n’avaient qu’à répondre : «toi-même !»

Ces Pamphlets font, au même titre que les Mémoires, une page historique superbe, doublée d’un morceau de littérature et de polémique savoureux. On ne retirera pas au cardinal de Retz sa fougue, son énergie, son naturel, en un mot : son style. Style porté par des phrases à la respiration longue et nerveuse, et cependant dénuées de l’impeccable ampleur de voix d’un Bossuet. C’est qu’on peine parfois à suivre le propos de Retz, et il arrive que ses phrases aillent se perdre et s’affaiblir dans d’infinies circonvolutions… Notre prélat manque d’un muscle assez tendu pour soutenir ses fiers élans, et son souffle est par trop ambitieux pour ses poumons, dont le coffre est par ailleurs peu suspect de médiocrité. Ce nonobstant, les éclairs abondent. Témoin ce passage, lequel s’applique à la puissance dix à la prétention d’omniscience du citoyen de 2010 : «Je ne puis comprendre l’emportement ou plutôt l’aveuglement de notre siècle. Je ne vois personne qui se pique de Politique ; je ne vois personne qui ne décide sur les affaires de l’État, et je ne vois personne qui les connaisse. Le vulgaire ne se contente pas de former des conjectures, il pénètre jusques dans le secret des cabinets, il perce les mystères les plus cachés, il ajoute à des connaissances imaginaires des fantaisies chimériques» (p.169).

Jean-Baptiste Fichet
( Mis en ligne le 23/03/2010 )
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