L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Renaissances italiennes
de Elisabeth Crouzet-Pavan
Albin Michel - Bibliothèque Histoire 2007 /  32 €- 209.6  ffr. / 625 pages
ISBN : 978-2-226-17111-5
FORMAT : 15,0cm x 22,5cm

L'auteur du compte rendu : Hugues Marsat, agrégé d'histoire, est enseignant dans le secondaire. Il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles.

Les mots et les choses

En histoire, l’emploi du terme de Renaissance, même s’il désigne toujours de manière privilégiée une période courant de la fin du XIVe siècle au XVIe siècle, n’a plus la simplicité que lui avaient prêtée ses inventeurs principaux, Vasari, Burckhardt et Michelet. Il tend plutôt à déchaîner, à l’instar de nombreux termes aujourd’hui, des débats historiographiques infinis, sur son contenu et ses limites, à commencer parmi les médiévistes, victimes et créatures d’une périodisation de moins en moins pratique de l’Histoire.

Plutôt que de chercher à appréhender la Renaissance en Italie dans une homogénéité hypothétique, Elisabeth Crouzet-Pavan, professeur à la Sorbonne et spécialiste de l’Italie médiévale, livre ici une approche diachronique, visant à dégager les évolutions mais aussi les permanences, tant politiques qu’économiques, dans l’art de vivre comme dans la peur de mourir, de l’Italie de l’époque. Le pluriel du titre s’imposait donc par la diversité des approches. Il s’imposait, bien sûr et tout d’abord, par la pluralité italienne. En Italie, la Renaissance a autant de visages que la péninsule a d’Etats. Donc non pas une Renaissance mais des Renaissances.

Préliminaires à des parties plus thématiques, les deux premiers chapitres reflètent la démarche empruntée. D’une part, le «tems [qui] revient», devise arborée par Laurent de Médicis lors d’un tournois en 1469, est celui d’une espérance retrouvée, une sensation de changement pleinement ressentie par les Hommes de l’époque, ou affichée comme telle à des fins politiques, et que Giorgio Vasari célèbre vers 1544 par un tableau reproduit en couverture et dont la description sert de point de départ à l’auteur. D’autre part, ce «tems» ne peut faire fi des ombres du passé.

Les Renaissances italiennes plongent donc leurs racines dans l’Italie des communes dont les plus importantes ont pris le contrôle des campagnes qui les entourent, formant des cités-Etats ; ces Renaissances naissent de la guerre qui enrichit (ou provoque la ruine) des condottieres comme les Sforza à Milan, étaye le pouvoir de certains à l’image de Frédéric de Montefeltre, duc d’Urbino, en renverse d’autres comme dans le royaume de Naples où les Aragonais supplantent les Angevins. Alors que décline le système communal, c’est l’Italie des livres du Prince et du Courtisan qui apparaît au terme de multiples confiscations du pouvoirs évoquées dans les chapitres troisième et quatrième. Un nouvel équilibre géopolitique s’installe en Italie.

Au titre des permanences, il faut ajouter le maintien de la primauté économique italienne (chapitre cinquième). Encore cette dernière connaît-elle des évolutions, consécutives en partie de la peste mais aussi et surtout des changements économiques aux échelles européenne et méditerranéenne. Dans le chapitre VI, Elisabeth Crouzet-Pavan met de côté la lecture fonctionnaliste de l’iconographie par laquelle princes et bourgeois magnifient leurs réussites pour en retenir la manifestation d’une société en proie à la contemplation d’elle-même et, citant Pline l’Ancien, «d’un monde avide de connaître quel aspect ils ont présenté» (p.393).

C’est un nouveau système des représentations, une nouvelle façon d’être au monde que décrit l’auteur, une mise en scène des apparences (chapitre VII). Pourtant, la vie continue à n’être «qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui parade et s’agite (…) un récit conté…». Elisabeth Crouzet-Pavan aurait pu sans peine reprendre les mots du Poète (MacBeth, V, 5) dans son dernier chapitre. En effet, paradoxalement, si le «tems revient», les angoisses ne se sont pas dissipées. Quelle meilleure preuve de la diversité de l’époque que la coexistence de courants de pensée hérités du passé et de l’espérance d’un temps nouveau ?

C’est donc bien à un tour d’horizon que se livre l’auteur de Renaissances italiennes. Un tel exercice, périlleux s’il en est car on peut toujours et inutilement lui reprocher d’oblitérer tel ou tel détail, doit d’abord être perçu comme ce qu’il affirme être, à savoir un essai pour une interprétation globale. La simplicité n’est pas toujours au rendez-vous dans ce genre, et, il faut l’avouer, le propos n’a pas une clarté accessible au premier venu, mais on oublie trop souvent quelles somme de connaissance et maîtrise il requiert. Ce n’est pas le cas ici. Et si la lecture du livre n’y suffisait pas pour convaincre, la soixantaine de pages de bibliographie achèverait de le faire. C’est entre cette dernière et la chronologie que vient se perdre la seule carte du livre dont on peut regretter qu’elle n’ait pas pris place dans les chapitres traitant de la géopolitique péninsulaire.

L’auteur de Venise triomphante (1999) n’en a pas moins atteint son but et contribue à approfondir la réflexion historiographique sur la notion de Renaissance sans pour autant sombrer dans l’abstraction et en restant penchée sur les mots de l’époque et la civilisation matérielle. Elle dégage au contraire des lignes évolutives menant du Moyen Age à l’époque moderne, atténuant par là une périodisation assurément pas plus linéaire que les frontières d’alors.

Hugues Marsat
( Mis en ligne le 18/06/2007 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)